Loi Travail et communication : vers un nouveau CPE ?

La ministre du Travail, Myriam El Khomri, et le Premier ministre, Manuel Valls, visitent une agence de Pôle emploi, à Mulhouse (Haut-Rhin), le 22 février 2016. (VINCENT KESSLER / AFP)

En communication de crise il est coutume d'étudier les "signaux faibles", soit tous les indices qui émaillent l'actualité laissant à penser que la situation va rapidement dégénérer. Et je vous le donne en mille, cette nouvelle "loi Travail" va provoquer une bonne veille crise des familles digne du CPE. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, elle porte en elle tous les attributs d'un méta-risque d'opinion : les points de désaccords ne sont pas seulement politiques ou économiques. Non, non. Ils sont tout à la fois politiques, économiques, sociaux, sociétaux. Une vraie bombe à retardement en matière de communication qui ne va pas manquer d'exploser...

Parce que les syndicats se montrent particulièrement unis sur le sujet

D'habitude si désunis, hors CFTC, les syndicats ont fait front contre cette loi. CGT, CFDT, FO, Unsa, CFE-CGC, FSU, Solidaires et UNL... tous oeuvrent main dans la main. Une première tant les mouvements font entendre des voix dissonantes la plupart du temps. Une poudrière sociale prête à être dégoupillée à un an de la présidentielle. Et on le sait pertinemment : lorsque la communication des syndicalistes est maîtrisée, elle peut être redoutable. A bonne entendeur.

Parce que les citoyens sont mobilisés comme jamais

Plus de 789 000 signatures pour la pétition contre la "loi Travail" de Myriam El Khomri lancée par Caroline de Haas, la militante féministe passée par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, soit un record pour le site Change.org. Rolling Stone rappelle qu'en France, la pétition contre la loi du travail est signée plus de 73 000 fois par jour. Elle représente à elle seule plus de 20% du trafic du site. Rien que cela.  Aujourd'hui ce sont les Jeunes Socialistes qui dénoncent dans une tribune parue sur le site de Francetv Info "la dérive libérale du gouvernement, la surenchère sécuritaire et identitaire, dans les mots et dans les actes". Or, l'exécutif le sait : si les jeunes commencent à descendre dans la rue, nous nous acheminons tout droit vers un CPE bis repetita. A ceci près qu'à dix ans d'écart, c'est le peuple de gauche qui serait amené à manifester contre un gouvernement étiqueté à ... gauche ! L’Unef (étudiants) et l’UNL et la Fidl (lycéens), les principaux syndicats étudiants, préparent un retour de vacances mouvementé. Ils s'engagent à manifester le 9 mars. Ironique lorsque l'on sait que la jeunesse était l'un des chevaux de bataille de François Hollande.

Parce que le mouvement est repris pas des influenceurs

Avec le hashtag #OnVautMieuxQueCa ce sont les YouTubers "Klaire fait Grrr", "BonjourTristesse" ou bien encore "Usul" qui ont repris le combat en leur nom avec un succès plus que certain.« On est restés silencieux bien trop longtemps (…) On va leur montrer qu’on n’est pas dupes de conséquences qu’ont sur nos vies à nous les décisions qu’ils prennent ; qu’on vaut mieux que des petites décisions. On va leur montrer qu’on vaut mieux que ça » clament-ils tous d'un seul homme. Ce que l'exécutif n'a toujours pas compris c'est qu'avec l'émergence du numérique, un monde s'effondre sans bruit. Celui de la verticalité et des pouvoirs concentrés. Celui de l’infantilisation et des injonctions aussi. La mobilisation a d'ailleurs gagné un nouveau front de bataille numérique : Facebook. Un événement réunissant à ce jour plus de 42 000 participants a été créé en vue de manifester le 9 mars, jour initial de présentation du projet de loi en Conseil des ministres. Depuis, cette date a été reportée au 24 mars. Première victoire pour ses opposants. Et là, on se dit que c'est Macron qui doit être satisfait de la défendre de loin. "Pas ça, pas nous, pas la gauche" à quant à elle déclaré Martine Aubry dans sa tribune sur le sujet, co-signée avec Daniel Cohn-Bendit et ses soutiens lors de la primaire socialiste de 2011. Certes, son courant est minoritaire mais il traduit tout haut le ras le bol général des députés socialistes et de leur staff. Soit un séisme politique à venir tant la déprime est forte à gauche. 

Parce que la communication du gouvernement ne passe pas

Face à cette situation qui porte en elle tous les germes de la révolte, ce n'est pas la désastreuse idée de communication du compte "Loi Travail" sur Twitter qui va inverser la donne. Au contraire. Un compte Twitter "humanisé" pour expliquer cette loi qui ne passe pas, même auprès de son propre camps ? Du LOL pour rassurer sur la précarisation des salariés en prenant de haut les internautes ? Sérieusement ? "C'est la première fois que le gouvernement voit une de ses propositions soutenue par le camp électoral d'en face et non par ses propres électeurs. Même dans le cadre du pacte de responsabilité les "soutiens" ne s'étaient pas inversés" souligne Jean-Daniel Levy, Directeur du Département politique et opinion d'Harris Interactive. Signe de la révolte à venir.

Via cette loi, Manuel Valls joue au poker et continue les petits calculs politiciens, lourds de conséquences. Il pense écarter Macron du feu des projecteurs tout en explosant le bloc de gauche et en s'attirant les soutiens centristes. Mais comment peut-on décemment faire croire que la modernité c'est la précarité ? C’est à se demander si le gouvernement ne vit pas dans un monde virtuel : comment rester sourds et aveugles face à l’émergence de nouveaux lanceurs d’alerte connectés ? L’intelligence collective est en marche. Et si l'on en croit ce faisceau de signaux faibles, l’heure de la participation a sonné. Réponse dans la rue dès le 9 mars.

Anne-Claire Ruel

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