La politique a-t-elle "encore" une place à la télévision ? Cette question peut paraître provocatrice tant l'attachement des Français au débat d'idées, est fort. Pourtant, elle semble aujourd'hui plus que d'actualité avec les salutaires sorties médiatiques de Vincent Lindon et d'Edouard Baer à quelques jours d'écart. Le premier reproche aux médias de dégrader la politique : «Y'a des gens qui nous écoutent et c'est leur dire ‘[Les politiques] sont des guignols, ça sert à rien, arrêtez de voter'. Et c'est pas bon. […] La familiarité de toutes les émissions de télévision, de radio, de journaux… À force de singer ces gens, de ne pas les respecter, qu'ils soient bons ou pas bons, […] on dégrade l'homme politique, on s'en amuse de plus en plus. C'est vrai ce que vous dîtes mais on n'est pas obligé de tout dire. Ça devient presqu'un sketch. On est moins efficace quand on se moque des gens qui sont à la tête de l'État. C'est mieux de l'écrire, c'est mieux de le lire dans un journal sérieux, mais en en rigolant, on ne les respecte pas ». Le second fustige les communicants et le mélange des genres au sein des émissions de divertissement où les politiques côtoyent les amuseurs publics au court de séquences qui s'enchaînent sans transition. Oui, les communicants sont responsables de cette situation assurément. La communication politique sépare les hommes là où elle doit initialement les rassembler. Aveu d'échec cuisant. Mais les médias, en quête de buzz éphémères, ne sont pas non plus tout blanc dans cette course à l'audimat.
De l'infotainment au non-renouvellement des émissions politiques : quid de la responsabilité des médias ?
Sur le plateau "Des paroles et des actes", une militante -qui assure ne pas en être une- interpelle vivement Finkielkraut. Qu'elle ait raison ou tort sur le fond, quid du travail journalistique mené en amont pour s'assurer que cette intervenante est bien celle qu'elle dit être ? Najat Vallaud-Belkacem, invitée sur le plateau du Supplément de Canal+ entend un musulman salafiste expliquer qu'il ne serre pas la main des femmes avant d'ajouter qu'il ne condamne pas sans réserve l'Etat islamique. Alors même qu'elle aurait dû immédiatement quitter le plateau, il s'agit là d'une faute politique majeure, pourquoi Canal+ tente-t-elle de faire le buzz en jouant les pyromanes ? Oui, les communicants ont un rôle certain dans la déréalisation de l'homme politique. A trop vouloir plaire à tous, les politiques ne séduisent plus personnes. Icônes de croyances révolues, comme le démontre Eric Neveu dans son ouvrage "De l'art (et du coût) d'éviter la politique", ils désacralisent la politique et pour tenter d'apparaître comme des « semblables », des personnes à qui l’on peut s’identifier dans les émissions grand public. Est-ce la raréfaction des émissions politiques qui a conduit le personnel politique dans ces talk shows regardés par un public plus jeune et plus nombreux ? L'âge d’or de la politique à la télévision a-t-il véritablement existé ou est-il le fruit d’un imaginaire collectif ?
Les journalistes politiques ont-ils encore une place à la télévision ?
Du respect excessif et complaisant, de la haute valeur implicitement liée à la politique de l'ancien temps nous sommes passés à la remise en cause des hommes politiques par la néo-télévision. Progressivement la pédagogie a laissé la place aux lois du spectacle et l’émotion a remplacé l’argumentation. Aujourd’hui, le « parler vrai », artefact de communicants, semble se substituer à l'explication. Aujourd'hui, les politiques tel que Jean-François Copé n'hésitent plus à venir se raconter dans le Divan de Marc-Olivier Fogiel pour faire leur "com'". Hors sol, déconnecté de la réalité, les communicants, ces "parasites", sont accusés d'avoir hautement aggravé la déliquescence du politique, obligeant leurs clients, non sans leur consentement, à jouer les saltimbanques médiatiques. C'est juste. Mais si la dialectique du sacré et du profane, qui caractérise les rapports entre politique et télévision, révèle la conception de la politique des hommes politiques, elle témoigne également des difficultés rencontrées par le journalisme politique à la télévision. Nous pourrions presque substituer la première interrogation par la suivante : les journalistes politiques ont-ils encore une place à la télévision ? Les émissions politiques, trop classiques, n’ont pas su être renouvelées, même par l'arrivée des chaînes d'information. Concurrencés sur les questions de société par les journalistes généralistes et les animateurs, les journalistes politiques s’adressent à un public éclairé et déjà politisé dans les émissions du genre, bien trop axées sur les luttes politiques internes qui rongent les différents partis, que sur les aspirations réelles des citoyens-téléspectateurs.
A tel point que les journalistes politiques se trouvent face à un défi : entre une mise en scène qui laisse trop de place à la sacralisation et la dramatisation et le caractère « profane » des émissions de divertissement ils doivent donner un nouveau souffle à la politique télévisuelle. Comment redéfinir les contours de leur profession ?
Anne-Claire Ruel
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