Stupeur et colère. Alors même qu'ils étaient en pleine réunion de groupe à l'Assemblée Nationale, les députés socialistes se sont vus contraints d'allumer la télévision pour suivre ensemble en direct l'intervention de Manuel Valls détaillant le plan d'économies. La surprise est totale. Les députés, qui pensaient être consultés en amont, se sont vus relégués au rang de simples spectateurs, observateurs atones de la pièce jouée devant eux. Son intervention ce soir au JT de 20h de France 2 témoigne de la volonté de Manuel Valls de ne s'adresser qu'aux Français et à eux seuls. Le contexte lui est favorable à plusieurs titres. Retour sur la stratégie de Manuel Valls.
1 Surfer sur sa popularité en jouant la carte de l'opinion
En prenant ainsi de court la majorité, la lecture politique de Manuel Valls est limpide : c'est sa popularité, contre les remous provoqués dans son propre camp par cette déclaration. Fort de sa cote de popularité, il s'adresse directement aux Français, sans autre forme d'intermédiation. Politiquement, jouer l'opinion contre la majorité, pourrait lui nuire : les députés, tels des boxeurs KO à peine descendus du ring, se remettent difficilement de la défaite des municipales et la grogne prend de l'ampleur sur les bancs du Sénat et de l'Assemblée. Dans les faits, c'est surtout Bruno Le Roux, chef de file des députés PS, qui risque de se prendre les coups en coulisses : le destin des députés est lié à celui de Manuel Valls et cela tout le monde le sait.
2 Prendre la main au bon moment pour susciter l'adhésion
Timing is everything. Premièrement, les Français semblent ouverts à ces mesures. Plus de 50% des Français indiquent vouloir s'impliquer pour aider le pays à redresser les comptes révèle notamment un sondage IFOP publié dans Ouest France. Dont 60% des sympathisants UMP et 74% de ceux du PS. Manuel Valls l'a bien compris, c'est maintenant ou jamais. Deuxièmement, passer par une phase de discussions parlementaires, potentiellement soumise au tamis des syndicats et groupe d'intérêts, lui ferait perdre un temps précieux et risquerait d'aboutir à une forme de synthèse indigeste. Son pari ? Peu importe les réactions, pour que le pacte voit le jour, il faut que l'opinion publique y adhère. Cette sortie lui permet également de reprendre la main sur l'agenda médiatique, alors même qu'on s'attendait à une accalmie politique d'une quinzaine de jours avant d'entrer dans la course des européennes.
3 Intervenir au JT de 20 heures pour faire montre de pédagogie
Ne vous attendez pas ce soir sur France 2, lors de son intervention télévisée, à des éléments de langage très originaux. Non, du classique, rien que du convenu, mais délivré de manière professionnelle. Ce soir, vous entendrez en substance que ces économies visent à renforcer la compétitivité de notre économie pour développer l’emploi. Il s'agit notamment de redonner du pouvoir d’achat, et en particulier aux salariés les plus modestes. L'idée c'est de rassurer sur l'impact social, tout en réaffirmant que la France tiendra ses engagements, car c’est la base de la "crédibilité" et de la "confiance". Les deux mots "talismans" de Manuel Valls qui seront sans doute samplés, façon "disque rayé". Quelques extraits des éléments de langage que vous pourrez entendre au JT de 20 heures ce soir :
"Réduire nos déficits, c’est retrouver des marges de manoeuvre pour investir, et préparer l’avenir. L'idée c'est que le pacte c'est pour la compétitivité, la croissance et donc l'emploi et le pouvoir d'achat, pour notre souveraineté budgétaire, pour notre crédibilité européenne, pour pouvoir investir après."
4 Amorcer la construction de l'image d'Homme providentiel
La déclaration du jour de Manuel Valls n'est qu'une prolongation de son discours de politique générale. Elle n'aurait pas dû autant surprendre. Le Premier ministre avait déjà fait fi des potentiels frondeurs. Avec cette nouvelle intervention, Manuel Valls confirme donc son intention de poursuivre le mouvement, de rester sur sa ligne de conduite, tracer son sillon, quitte à passer ses mesures à la hussarde s'il le faut. La communication est parfaitement maîtrisée, professionnelle, calibrée. Mais réduire Manuel Valls à un homme de communication, c'est oublier un peu vite qu'il est en train d'entériner le social libéralisme, le rééquilibrage du centre de gravité de la vie politique et son clivage gauche-droite, parfois artificiel. "La forme, c'est le fond qui remonte à la surface" disait Victor Hugo. Peu à peu, au fil de ses interventions, en s'adressant directement aux Français, il se forge une image d'un homme d’action, déterminé, incontournable, au-dessus de la mêlée des partis en proie aux guerres fratricides. De là à dire qu'Homme "providentiel" rime avec "présidentiel", il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas. Il est encore trop tôt. Quoi que.
Anne-Claire Ruel
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