Attentats à Paris : comment Daesh nous impose sa stratégie de communication

Des dizaines de Parisiens se recueillent devant le bar Le Carillon, le 15 novembre 2015, dans le 11e arrondissement de la capitale. (BENOIT TESSIER / REUTER)

L'opération de neutralisation des terroristes à Saint-Denis est à peine achevée que déjà des questions se bousculent dans nos têtes embrumées. Pas de doute, c'est nous qui avons été touchés. Nous, la jeunesse urbaine habituée à écumer les salles de concert les vendredis soir, avec pour seules armes nos sourires en porte-étendard. Nous, les heureux terrassiers, un verre de bière à la main, à refaire le monde avec les copains. "Frappes chirurgicales", "dommages collatéraux", "bombes intelligentes"... les mots aseptisés utilisés pour décrire les combats éloignés nous ont fait oublier qu'une guerre c'est avant tout du sang et des larmes. Ces attaques simultanées viennent nous le rappeler douloureusement. Comment penser l'impensable ? Comment comprendre ce qui n'a aucun sens ? Un psychiatre avec qui je discutais m'expliquait que le terrorisme était précisément un "trou" dans notre pensée. Or, il est essentiel de penser ces événements. Moi qui me méfie des interventions d'experts en tout genre, il m'encourage à écrire sur le sujet. "Même lorsque l'on n'est pas compétent en djihadisme ?" lui répondis-je. "Vous êtes spécialiste en communication oui ou non". Il n'a pas tort. Perçus via cette grille d'analyse, les terroristes développent des stratégies de trois ordres avec des objectifs associés : susciter la peur, recruter de nouveaux terroristes, conforter les djihadistes sur les fronts syriens et irakiens notamment. 

Stratégie de la peur, la contagion émotionnelle au service de la terreur

Oui, nous sommes en guerre et cette guerre est médiatique. Il n'est qu'à observer la puissance de frappe numérique des terroristes pour prendre la mesure de la situation. Communiquer, c'est utiliser trois registres : l’ethos, ce que je suis; le pathos, l’émotion; le logos, le fond. Or, aujourd'hui, la dimension du pathos, et donc l’émotion, est totalement préemptée à dessein par les djihadistes qui nous imposent leurs images de violence extrême. Emouvoir l'opinion via des images toujours plus "choc", intimider la France et les Français, et par ricochet, le monde entier, prendre l'ascendant psychologique et faire douter de la capacité de notre pays à lutter contre Daesh, tenter de nous diviser nous qui prônons la liberté, l'égalité et la fraternité... Pas de doute, il s'agit de répandre la peur, de médiatiser planétairement leurs horreurs. Si nous en voulions la confirmation, "Paris est une fête" comme l'écrivait Hemingway, mais aussi un village. Et pour peu que vous aimiez le rock, vous aviez aisément un à deux amis dans cette salle du Bataclan. La contagion émotionnelle est à son comble. Les récits de la tragique nuit se multiplient. Et c'est bien là le but des terroristes : toucher à l'intime et s'en prendre à nos lieux de vie. En d'autres termes, notre géographie personnelle qui en temps de paix est une enveloppe protectrice.

Stratégie de galvanisation, l'horreur au service de la mobilisation

"Ceux qui recrutent parlent français, pensent en français, et surfent sur les dysfonctionnements de la société française. Ils ont la finesse de faire miroiter aux jeunes des utopies différentes : le jeune qui est épris d'utopie humanitaire peut adhérer à un mythe, de même que celui qui souhaite venger les musulmans ou que celui qui rêve d'une terre paradisiaque où règnent de « vraies » valeurs de fraternité et de solidarité. Chaque jeune peut donc choisir sa propre raison de partir faire le djihad. C'est comme une individualisation de l'embrigadement, adaptée à la culture française" rappelle l'anthropologue, Dounia Bouzar, au Monde des Religions. Aussi fou que cela puisse paraître pour nous, via ces attaques, les djhadistes mènent dans le même temps une opération de recrutement, en faisant la démonstration de leur puissance auprès de jeunes avides de revanche. Voire même une action de "communication interne" pour galvaniser les troupes déployées sur le front syrien ou irakien et développer le sentiment d'appartenance à un groupe. "Le groupe créé un cocon dans lequel les questions d’identité personnelles sont abandonnées au profit de l’identité et de la pensée de groupe" décrypte Yann Leroux, psychanalyste sur son blog Psychologik. Il ajoute : 

"Borum a décrit le développement des idées extrémistes et la justification de la violence en quatre étapes :
1. “ce n’est pas bien”. Le point de départ est un sentiment d’insatisfaction ou un griel; contexte;
2. “ce n’est juste”. Une situation indésirable n’est pas nécessairement injuste. La perception de l’injustice nécessite une comparaison;
3. “c’est votre faute”. Les mauvaises choses n’arrivent pas sans raison. Quelqu’un ou quelque chose doit être responsable;
4. “vous êtes mauvais”. Le mécanisme pour développer des conduites haineuses envers un groupe ou une institution se met en place. La violence agie est facilitée par l’érotion des barrières qui inhibent le comportement agressif en créant des justifications ou en déshumanisant les victimes".

“Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre” écrivait Dostoïevski. A leur terreur, répondons par la lumière.

Anne-Claire Ruel, 

Avec la participation de Céline, Charlène, David, Axelle, Laurine, Marie et Camille.

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