Un ami journaliste, qui anime dans les jours à venir une table-ronde à laquelle doit participer un ministre, n'en est pas revenu. Lors de la préparation du débat, le conseiller en "com'" de l'élu n'a eu de cesse d'évoquer, de long en large, la "séquence ministre". Drôle de dénomination pour une si courte intervention. Aujourd'hui, le terme est utilisé à tout bout de champ tant par les communicants que les politiques et même les journalistes. Que signifie-t-il exactement ?
La séquence : du cinéma à la communication
Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, annonce plus de 17 000 reconduites à la frontière en 2015. Dans le même temps l'INSEE publie une note sur les flux migratoires entre 2006 et 2013... pas de doute, nous sommes bel et bien entrés dans une "séquence" immigration ! Comme tous les mots inventés par la novlangue des communicants, celui-ci reste un concept assez flou et vide de sens. Evidemment, il convoque instantanément l'univers cinématographique : un ensemble de plans se déroulant dans un même lieu et dans un même temps. Excepté que dans son acception actuelle, il est question... de réel ! Pour vous le définir de manière simpliste, nous pourrions dire qu'il s'agit d'une unité de communication définie dans le temps sur un sujet médiatique donné. La séquence peut être subie (les forces en présence ne l'ont pas imposée, c'est l'actualité qui la place sous le feu des projecteurs) ou imposée (les acteurs médiatiques tentent d'influencer l'agenda médiatique de manière à mettre exergue la thématique qu'ils souhaitent impérieusement médiatiser dans le but d'en tirer parti) avec un objectif fort : prolonger un maximum la séquence. En 2012, Romain Pigenel, alors responsable de la campagne numérique, aujourd'hui Directeur adjoint du SIG, m'expliquait sans ambage la stratégie initiée par les équipes de François Hollande sur le web : "allonger les séquences de communication et marteler des messages clairs" et donc "évoquer un sujet sous plusieurs angles pour éviter le phénomène de zapping". L'ennemi numéro un des communicants.
Un terme lié à la bataille livrée pour la maîtrise de l'agenda setting
En 1972, McCombs et Shaw, deux rock stars pour les «Spin doctors» comme le sont Keynes et Hayek pour les économistes, ont établi une relation causale entre la portée accordée par les médias à un thème donné et la perception de l’importance de ce même sujet par l'opinion publique. L’agenda setting était né. Avec lui, pour corollaire, les sorties intempestives des politiques sur tout et... n'importe quoi, ainsi que les -désormais classiques- "visites de terrain" et autres "sorties médiatiques" pour imposer leurs sujets. Guy Debord a parfaitement analysé ce phénomène dans son ouvrage de référence, que tout le monde cite et personne -ou presque- n'a réellement lu, "La société du spectacle" : "Dans le monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux". Les hommes politiques se vivent comme des héros de séries télévisés, dont ils façonnent l'image à coups de petites phrases ou de tweets. "Le héros doit donc étonner apparaître là où on ne l’attendait pas, proférer la devise qui étonne ou l’injure qui tétanise, et bien entendu vaincre. Homme seul au départ, il doit capitaliser les soutiens, faire revivre des entreprises, des villages ou des banlieues, apporter le succès là où régnaient que misère et désespoir" résume Jean-Paul Gourevitch, dans L’image en politique. Face à cette mise en scène outrancière, rien, ni personne. Ou presque. Les journalistes ont capitulé et prennent en dictée les éléments de langage fournis par l'Elysée. La diffusion récente du documentaire d'Yves Jeuland, "Un temps de Président", illustre parfaitement cette débâcle.
Pourquoi les journalistes ont-ils autant intériorisé la notion de séquence au point de reprendre ce terme pour décrypter l'actualité médiatique ? Pourquoi ne s'opposent-ils pas aux tentatives d'instrumentalisation de l'actualité ? Et si les journalistes avaient renoncé à exercer leur métier face aux communicants ?
Anne-Claire Ruel
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