Police Libre: défis du maintien de l'ordre à Alep

Photo Souriatna août 2015

L'article qui suit a été publié par l'hebdomadaire Souriatna le 9 août 2015. Son auteur tente de mettre en lumière le travail de la police alépine, dans un contexte d'une extrême complexité. Comment peut-on, en effet, assurer la sécurité de la ville en plein conflit, avec 1700 agents disposant de moyens extrêmement modestes et pris entre les attaques du régime et les différentes factions armées de l'opposition?

On l'appelle la "Police Libre d'Alep". Ses agents et officiers ont probablement l'une des missions les plus difficiles en Syrie: assurer la sécurité de la ville considérée comme la plus dangereuse au monde et soumise au contrôle de groupes armés de courants très divers. C'est dans ce contexte que la Police d'Alep tente de coopérer avec les différentes forces en présence, ainsi qu'avec les communautés locales afin de garantir la sécurité de tous.

Pour une institution aussi jeune - créée en octobre 2012 seulement - le défi est immense. On compte à Alep 6 postes de police et 1700 gardiens de la paix, en plus de certains officiers ayant quitté les rangs de la police du régime et d'autres services de sécurité. Les grades vont de sous-lieutenant à commandant. On tente d'y établir une hiérarchie stricte et une organisation bien précise. Aussi la ville a-t-elle été divisée en deux zones Est et Ouest et en quatre grands quartiers qui sont Boustan al Qasr, Kalassa, Salaheddine et Firdaous. [...] Quant au reste du gouvernorat d'Alep, il a été divisé en quatre zones (Nord, Sud, Est et Ouest), avec des postes de police dans les principaux villages et dans les petites villes.

De très nombreuses missions

Les missions de la Police Libre d'Alep ne se limitent pas au maintien de l'ordre. En effet, elle assiste également les Conseils locaux dans la fourniture de services à la population et organise des patrouilles pour la surveillance du trafic routier dans les villes et villages ainsi que sur les autoroutes, intervenant en cas d'accident. Les forces de police collaborent avec les secouristes dans le transport de blessés; elles organisent également des opérations de contrôle de véhicules et de produits, ainsi que les transferts de prisonniers.

Police d'Alep organisant le trafic routier à Atareb. Photo I. Sidorenko

Police d'Alep organisant le trafic routier à Atareb. Photo I. Sidorenko

La police contribue aussi à la résolution des différends qui peuvent opposer les civils: ceux-ci ont récemment connu une forte hausse à la suite des bombardements dont la ville a été victime et des difficultés de la vie quotidienne. Elle joue donc le rôle de médiateur, afin d'amener les parties au conflit à trouver des solutions amiables, avant de devoir en référer à la justice.

La direction de la Police Libre estime faire tout ce qui est en son pouvoir pour la protection des biens publics et privés, pour la documentation de tout crime et de toute exaction. Elle collabore avec le pouvoir judiciaire ainsi que les Conseils locaux pour mener à bien les enquêtes judiciaires.

Une coopération étroite avec les civils

Les habitants vivant dans les zones contrôlées par l'opposition aimeraient que la Police Libre contribue mieux au maintien de l'ordre. En effet, la situation sécuritaire s'est beaucoup détériorée ces derniers temps: les vols sont en forte recrudescence, et les différends opposant les citoyens sont de plus en plus nombreux. Aussi diverses factions armées interviennent-elles dans la vie quotidienne des civils, selon des militants alépins.

Dans un entretien avec Souriatna, Salim Koubara, un habitant du district de Mansoura, situé à l'Ouest de la région d'Alep, estimait que "les habitants voudraient une police plus forte, afin de protéger les civils, et notamment la nuit, d'autant que de nombreux gangs se sont créés, commettant des vols et des meurtres au quotidien. Nous aimerions que la police soit plus forte que les factions armées et soit plus présente dans la vie des civils. Ainsi, ces factions pourraient se consacrer à la lutte contre les forces du régime et contre Daesh, au lieu de s'ingérer dans nos vies".

Quant aux relations entretenues avec les autres institutions créées par la Révolution, ainsi que les factions combattantes, elles sont basées sur le "respect mutuel", d'après le capitaine Malek Abou Youssef, porte-parole de la Police Libre d'Alep, mais également "sur la coopération et sur une véritable synergie et une mise en commun des efforts déployés. Nous n'avons, en revanche, aucune relation avec le gouvernement intérimaire ou la Coalition nationale. Ainsi, nous avons publié le 27 juin 2015 un communiqué où nous précisions que nous étions une institution destinée à fournir des services à la population d'Alep et des zones libérées, sans aucun lien avec une quelconque instance politique, qu'il s'agisse du gouvernement intérimaire ou de la Coalition nationale d'opposition. C'est pourquoi, nous ne pouvons collaborer qu'avec les autres instances actives dans les zones libérées, et reconnues par leurs populations".

D'immenses défis

Le financement est probablement le plus grand défi auquel la Police Libre se trouve confrontée. Autrefois, ce financement provenait en partie de certains Etats de l'Union Européenne, ainsi que des Etats Unis. Aujourd'hui, d'après le capitaine Abou Youssef, la principale source de financement serait la Fondation européenne Adam Smith. "En toute transparence, nous pouvons dire que le chef de la Police Libre touche un salaire mensuel de 400 dollars, 300 pour les officiers, 150 pour les sous-officiers et 100 pour tous les autres agents", précise Abou Youssef.

Police Libre au village de Tawameh, Photo TahrirSouri.com

Police Libre au village de Tawameh, Photo TahrirSouri.com

En termes logistiques, certains besoins se font particulièrement pressants. "Nous n'avons toujours pas de centre de formation pour la Police Libre, et les bâtiments dont nous disposons ne nous permettent pas de mettre les officiers à l'abri des attaques constantes de l'aviation du régime. Nous n'avons pas assez de véhicules, ni de motos, ni de fourgons pour le transfert des prisonniers. Nous avons également besoin de garages et d'espaces dédiés pour la maintenance et la réparation des véhicules", dit le capitaine Abou Youssef, qui rajoute que "les moyens de communication dont dispose la police sont assez anciens. Nous avons besoin de moyens plus modernes. Il nous faut également des gilets pare-balles, des armes de défense, des équipements logistiques pour les agents de la sécurité routière. Nos hommes ont également besoin de centres de santé qui leur soient dédiés, ainsi qu'à leurs familles".

Il y a de cela cinq moins, deux centres ont été créés pour l'analyse et la gestion des preuves pénales. Ceux-ci disposent de moyens très modestes. L'un d'entre eux se situe dans la ville-même d'Alep, tandis que le second se trouve à Atareb, à l'Ouest de celle-ci, sur la route menant à Idleb. Ils permettent l'analyse d'éléments de preuves dans le cadre de crimes tels que la contrefaçon de monnaie et documents officiels, ainsi que les vols et les meurtres.

La Police d'Alep a également innové en créant une police féminine où sont formées 25 bénévoles. Celles-ci sont chargées des opérations de fouille auprès des femmes, mais également d'une partie des enquêtes et de la surveillance des établissements pénitentiaires pour femmes.

Depuis la création de la Police Libre d'Alep, 27 de ses agents sont tombés pendant l'exercice de leurs fonctions. Leur direction tente d'assurer des compensations ainsi que des pensions régulières afin soutenir leurs familles.


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Souriatna est l'un des premiers hebdomadaires électroniques en Syrie. Créé en septembre 2011, ce projet collectif et totalement bénévole est né de l'urgence de créer des médias syriens alternatifs et indépendants afin de refléter le changement tant attendu depuis le début du soulèvement en mars de la même année. Souriatna est aujourd'hui dirigé et publié par un groupe de jeunes de Damas.