Cela n’avait jamais été fait auparavant, c’est une plongée au cœur de la police. Un chercheur du CNRS, Mathieu Molines, a sondé l’esprit des fonctionnaires de tous les commissariats et services de police de France. Un vaste questionnaire leur a été proposé entre mai et janvier 2012. Plus de 6000 policiers ont répondu aux deux premières phases de l’étude, 40% d’entre eux à la totalité (2650 fonctionnaires). Un nombre suffisant pour que l’enquête soit prise au sérieux.
Le blues du policier
Il en ressort un gros ras-le-bol ! D’abord vis-à-vis de la hiérarchie: les chefs ne sont, selon les policiers interrogés, «pas assez formés », ils « manquent de recul », et « ne les soutiennent pas dans l’effort ». « Le chef direct ne se positionne pas comme un « véritable manager » mais comme un superviseur qui exerce essentiellement un rôle de contrôle », souligne le chercheur. A la pelle, les policiers regrettent « les lourdeurs bureaucratiques », « le manque de personnels », « le matériel inadapté », « la multiplication des nouvelles taches à accomplir », « la paperasse », « les changements fréquents des législations et règles »... « Ces éléments nuisent à la qualité de leur travail et provoque du stress", souligne le chercheur.
S'ils se disent stressés par la lourdeur de leur administration, ils ne le sont pas sur le terrain : « 56% des policiers estiment être suffisamment formés pour faire face aux situations stressantes rencontrés dans le cadre de leurs missions. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, ils n’apparaissent en effet pas fragilisés par le durcissement de la criminalité et la violence de la société", explique Mathieu Molines.
Les angoisses du "mal-aimé"
Leurs bêtes noires : la justice et les médias ! 85% d’entre eux pensent que la justice discrédite leur travail. Pour 60%, «elle n’est pas un partenaire qui coopère et les aident dans leur mission ». D’autre part, ils sont 87% à considérer que les médias dévalorisent leur travail. 59% estiment avoir « une mauvaise image auprès des gens» et 64% disent devoir faire face à des critiques négatives de la population. « Nous constatons qu'au-delà de leurs missions en elles-mêmes, les policiers éprouvent un stress essentiellement lié à leurs relations avec le public », précise Mathieu Molines.
Les policiers interrogés disent avoir subi en moyenne 3 à 5 agressions verbales ces 6 deniers mois (31,7% ont subi plus de 10 agressions verbales en 6 mois) et 1 à 2 agressions physiques à la même période. Résultat : 38% des interrogés ont peur de s’endurcir émotionnellement, 40% ont l’impression que certaines victimes les tiennent pour responsables de ce qui leurs arrivent et 18% disent être devenus insensibles.
L’obsession du chiffre
70% des policiers interrogés considèrent que « faire du chiffre » est un élément essentiel de leur métier ! Ils ne revendiquent pas exactement un management par le chiffre, mais estiment à 75% qu’il s’agit « d’un critère important, voire, essentiel, afin d’être reconnu par leur hiérarchie». 54% pensent que la lutte contre l’insécurité reste la norme dans la police et 49% que la baisse des chiffres de la délinquance est le principal objectif du métier de policiers.
Masochistes ?
« Les policiers estiment que leur travail est, de manière générale, éprouvant sur le plan émotionnel, mental, relationnel », explique le chercheur. Cela induit une baisse de l’enthousiasme dans le travail (71%), perte d’intérêt (76%), perte du sens du métier (73%).
Et pourtant….. Les policiers interrogés sont à 80% fiers d’appartenir à la Grande Maison. 72% considèrent qu’elle représente beaucoup pour eux. 99% pensent que leur équipe est efficace. 70% qu’ils font bien leur travail ! Et la grande majorité d’entre eux ont le sentiment d’appartenir à une même famille.
Globalement, souligne le chercheur, les policiers français, s'ils ne sont pas encore en "burn-out (en substance dans un état d'implosion psychologique), ils n'en sont pas loin. Certes, d'autres administrations vont plus mal mais semble-t-il, l'état d'esprit dans la "maison Poulaga" n'est - et ce n'est pas nouveau- pas au beau fixe!
Pour la petite histoire...
Et dire que cette enquête a failli ne jamais voir le jour! Lorsque le chercheur du CNRS a débuté son enquête, il s'est naturellement tourné vers le ministère de l'Intérieur afin que l’institution fasse office de « petit télégraphiste » en envoyant les questionnaires dans tous les commissariats de France. Mais il a essuyé un refus catégorique. Apparemment Bauveau a pressenti que l’exercice ne serait pas flatteur et, de toutes les façons, l’autocritique publique n’est pas dans les gènes de la Maison… Finalement, c'est le syndicat de police « Alliance » qui a accepté de servir de relais auprès des policiers en remettant les questionnaires au nombre le plus large, au-delà de ses adhérents. Est-ce la limite de cet exercice ? Les dirigeants du syndicat assurent n’avoir à aucun moment interféré dans le processus de l’enquête.
- A lire aussi le numéro de janvier du journal interne du syndicat "Alliance- police nationale".