Pour sa retraite, Richard Mess, 79 ans, a d'abord pensé à la Caroline du Sud ou du Nord. "C'est là que sont les plus beaux golfs", explique-t-il. Il a finalement choisi la Floride et la communauté de Sun City Center, où il vit depuis vingt ans. Richard Moonie, originaire comme lui de l'Etat de New York, est une des premières personnes qu'il a rencontrées en arrivant : les deux hommes sont devenus des habitués du petit bar qui jouxte les pelouses du Sandpiper Golf club, niché au cœur de Sun City Center.
Comme beaucoup, ils sont venus ici chercher le soleil et la sérénité. Pas d'enfants qui crient dans les jardins et s'agitent dans les piscines : l'installation est réservée aux plus de 55 ans, éventuellement avec des membres majeurs de leur famille. Une maison ici se vend entre 100 000 et 500 000 dollars, un prix à la portée des retraités de la classe moyenne, plus abordable en tout cas que dans la région de Miami, dans le sud de l'Etat. "Tout ici est à des prix très raisonnables", souligne Richard Mess, ancien ingénieur civil dans le nucléaire. "Entre nous, nous disons que c'est le secret le mieux gardé de Floride !"
Au café du golf club, Richard et Richard soupirent sur la jeune génération
"Nous sommes d'une génération qui a toujours vécu dans la stricte limite de ses moyens, soupire le retraité. Les jeunes d'aujourd'hui veulent tout tout de suite. Mes enfants sont comme ça !" Il a deux filles, qu'il a aidées à s'installer. Toutes deux ont de bonnes situations, mais il n'approuve pas certaines de leurs dépenses, ou encore leur recours - important - au crédit. Son compagnon de table acquiesce. "Notre retraite, nous avons mis de côté toute notre vie pour la préparer. Rien n'est gratuit."
Le débat sur Medicare, l'assurance maladie d'Etat pour les personnes âgées, les intéresse bien sûr. "Moi j'ai Medicare, mais j'ai cotisé des années pour ça. Et puis je paye 200 dollars par mois pour une complémentaire", explique Richard Mess. Paul Ryan, le candidat républicain à la vice-présidence, a proposé de remplacer l'actuel dispositif, géré par le gouvernement, par un système de "bonds", où les plus de 65 ans se verraient allouer une somme fixe qu'ils seraient libres d'utiliser pour souscrire à une assurance privée. Il trouve que c'est une bonne chose, qui permettrait à chacun de disposer plus librement de son argent (aujourd'hui, une cotisation est prélevée à la source sur sa retraite).
Mais c'est l'économie et les finances du pays qui sont leurs premières préoccupations. Le 6 novembre, les deux amis voteront pour Mitt Romney. Le seul capable, selon eux, de faire les arbitrages nécessaires. "Pour moi, Barack Obama est un socialiste, et je ne crois pas au socialisme, explique Richard Mess. Je n'ai rien contre aider les gens qui sont dans le besoin, mais aider ceux qui ne veulent pas travailler, ça ne m'intéresse pas."
Barack Obama, "un petit dictateur" pour les dames du Tea party
Une grande majorité de leurs voisins partagent leur opinion. Dee Williams, qui dirige le club républicain de Sun City Center, estime à deux contre un le ratio d'électeurs républicains comparés aux démocrates. Cheveux argentés coupés court et regard perçant, elle n'en est pas à sa première élection : à 82 ans, elle milite depuis 1960 pour le Parti républicain. Elle n'a jamais aimé Barack Obama. "Pas parce qu'il est noir, ça, ça n'a pas d'importance, mais à cause de ce qu'il dit." Elle a d'ailleurs beaucoup aimé le documentaire 2016, à charge contre le président. "[Le co-réalisateur] Dinesh D'Souza est né la même année qu'Obama. Il est aussi fils d'immigrés, même s'il n'est pas né aux Etats-Unis, alors qu'Obama est né à Hawaï. Enfin, en tout cas aux dernières nouvelles, précise-t-elle dans un sourire. Mais ils ont tous les deux une trajectoire très, très différente..."
Cette semaine, la dynamique vieille dame a passé des heures à nettoyer un petit local, le futur QG de campagne du club. Près de 200 pancartes aux couleurs du ticket Romney-Ryan patientent dans son garage et dans celui de Betty James, qui officie avec elle en tant que "Precinct chairman", volontaire local chargé de coordonner la campagne dans son secteur.
Cette dernière arbore pour notre rencontre un polo rouge aux couleurs du Parti républicain, et deux broches à l'avenant. Membre d'un groupe local du Tea Party, elle profère d'une voix douce des critiques acides à l'égard du président en exercice, "un petit dictateur". Les sondages qui le donnent gagnant la laissent de marbre. "Vous savez, à l'université j'avais un cours qui s'intitulait 'Comment mentir avec les statistiques'", m'explique-t-elle en souriant.
Plusieurs voisins sont déjà venus l'aborder pour avoir leur panneau. Quelques pâtés de maisons plus loin, justement, Elden Peck, retraité de la Navy, lui en a réclamé un pour son jardin. Sa maison est au bord du terrain de golf et il a déjà planté à l'arrière, visible aux yeux de tous, un écriteau où sont imprimés, en noir et rouge sur fond blanc, les mots "NO-bama".
"J'ai quatre petits-enfants, je suis très inquiet pour eux"
Ce jour-là, Dowell Sims, un voisin, prend le soleil avec lui sur la terrasse de la petite maison. A la question de savoir s'il soutient Mitt Romney, il répond dans un grand éclat de rire : "Hell yeah !" ("Et comment !"). "Il n'y a qu'un seul candidat." Envisageable, s'entend. "J'ai trois enfants, quatre petits-enfants. Je suis très inquiet pour eux, sur ce qu'on va leur laisser", explique ce grand gaillard de 63 ans, au crâne lisse et bronzé. "Ils n'auront pas la moitié des opportunités que nous avions. Je vois tellement de jeunes qui vont à l'université, dont les parents s'endettent lourdement, et auxquels nous n'avons aucun emploi à proposer."
Ce franc-maçon, impliqué dans les œuvres humanitaires de son ordre, espère que le discours d'Ann Romney, qui doit s'exprimer le soir-même à la convention, va être l'occasion d'infléchir un peu le ton de la campagne. "Je suis impatient de les voir sortir de tout ce négatif. Qu'ils disent ce que Romney peut faire de bien."