À Hayange, les "traditions" ou les "Français d’abord" ?

Affiche de la "Fête du cochon" de 2017

Il y a des moments où certaines mairies sont dans l’obligation de changer leurs affiches annonçant la programmation de leurs festivités. Cette année, Hayange n'y a pas échappé. Trois impressions ont été nécessaires pour annoncer la quatrième la fête du cochon. Ce n’est pas le visuel principal qui a évolué mais le nom des artistes qui devaient s’y produire… et qui se sont déprogrammés. Certes, est annoncée la « participation exceptionnelle » des Forbans (ainsi que celle d’Aurely Graine de star). Pas si exceptionnelle que cela peut-être puisque le groupe se trouvait à Hénin-Beaumont pour la fête de la musique de 2015. Les Forbans se sont également produits pour les 40 ans du Front national à La Mutualité. Albert Kassabi (Bébert), chanteur du groupe, en parlait ainsi « Il ne faut diaboliser personne. J'ai toujours adoré la controverse. Au moment où la mode était au disco, moi je faisais du rock'n'roll ! Je pense que l'artiste ne doit pas faire de politique. Tous les artistes qui en font sont des crétins. La politique, c'est comme la religion : il vaut mieux garder ça pour soi. D'ailleurs, vous savez, j'ai 50 ans et je n'ai jamais voté ». Aujourd'hui, son discours reste immuable même si le groupe déclare se rendre à Hayange « pour l'argent ». Bébert conçoit, malgré tout, que « le maire a mis de la malice dans l’affiche ».

DamesMorena

À l'origine, Caroline Loeb, Eve Angeli, Enzo Enzo et Ana Ka devaient présenter leur spectacle « Drôles de dames ». Fin août, leur producteur a fait savoir que les artistes ne participeraient pas à cette « fête », « compte tenu du caractère particulièrement politique et polémique de celle-ci » dont il n’aurait pas été informé. Une nouvelle programmation musicale a donc été annoncée : Éric Morena, Aurély… et Eve Angely. C’est au tour d’Éric Morena de laisser tomber Hayange, estimant cette fête « trop controversée » et ne correspondant pas à ses « valeurs ». Pour la mairie, ces défections font suite aux pressions du « système médiatique ».

Ce 3 septembre, Hayange vit donc sa quatrième fête du cochon avec comme mot d’ordre : « Nos traditions d’abord ! ». Les habitants sont invités « à passer une journée chaleureuse, à la française, entre amis ou en famille ». Inaugurée en 2014, quelques mois après l’élection de Fabien Engelmann, la fête du cochon expose indéniablement un des aspects de la communication municipale : la provocation. Certes, le maire de Hayange affirme que cette « fête paysanne » n’est pas « politisée » et de continuer ainsi : « Aujourd’hui, le mot cochon est devenu un gros mot, c’est ça qui est gênant. Dès qu’on veut défendre le folklore et les traditions françaises, ça pose problème ». Il assure qu’il n’y aura « ni logo, ni banderole FN ». Puis, dans une autre publication, l'élu reconnaît que les « gens qui viennent à la fête ne s’attendent pas à ce qu(‘il) leur parle des pots de fleurs de la rue Foch ». 

Depuis sa création, la Fête du cochon expose ce qu'elle est : une manifestation politique. Si elle rassemble nombre d'Hayangeois(es), on y croise aussi des militants radicaux et élus du FN. Certains camarades politiques et amis de Fabien Engelmann s’y affichent aussi. Parmi eux, Pierre Cassen, co-fondateur de Riposte laïque. Ce dernier entend défendre « une laïcité » et œuvrer « à l’unité de tous les patriotes qui, quelle que soit leur sensibilité, refusent l’islamisation ».

Pierre Cassen à la fête du cochon le 14 septembre 2014 (photo Vincent Jarousseau Hanslucas).

Pierre Cassen à la fête du cochon le 14 septembre 2014 (photo Vincent Jarousseau Hanslucas).

Une ligne idéologique qui ressemble à s’y méprendre à celle de Fabien Engelmann. Dans Du gauchisme au patriotisme, itinéraire d’un ouvrier élu maire d’Hayange (titre de son autobiographie publiée par Riposte laïque), Fabien Engelmann dénonce « un dogme mahométan très offensif, dangereux pour la démocratie, pour les droits des femmes et pour nos libertés individuelles ». Il considère que la France est, actuellement, confrontée à un « gros problème de civilisation, d’islamisation rampante ».

Et puis, à Hayange, on écoute aussi. Par exemple, dans son discours de l’année dernière à cette même fête du cochon, le maire ne tenait pas vraiment les propos typiques d'un rassemblement champêtre. On pouvait l'entendre dire notamment ceci : « Notre traditionnel Apéro-Saucisson-Pinard ne sera pas oublié ni interdit à Hayange, comme ce fut le cas à la Goutte d’Or… Ce quartier parisien très prisé à l’époque par les amateurs de bonne chère et de petit vin blanc. Un temps malheureusement révolu… Nostalgie quand tu nous tiens ! Nous sommes occidentaux, mais plus encore, nous sommes Français ». L'« apéro saucisson-pinard », évoqué par Fabien Engelmann, a pris forme le 18 juin 2010 (jour des 70 ans de l’appel de Charles de Gaulle). C'est, signale Pierre Cassen, le « coup d'envoi de la première manifestation de Résistance à l’islamisation de la France » . Ce jour-là, Riposte laïque, le Bloc Identitaire et Résistance républicaine appellent à un rassemblement dans le quartier de la Goutte d’or pour, « à la fois protester contre les prières de rue qui bloquaient tout le quartier tous les vendredis et pour célébrer, en signe de Résistance, nos traditions, le vin (...) et le saucisson ».

Puis n’oublions pas. Les « traditions d’abord » n'est pas sans rappeler un des slogans originel et pérenne du Front national : « Les Français d’abord ». Dès son apparition fin 1972, le parti l'affiche à tous les sens du terme. Ces quelques mots s’accolent rapidement à un autre – « immigration » – puis à deux autres – « chômage » et « insécurité ». Les Français d'abord est aussi le titre d’un ouvrage de Jean-Marie Le Pen, celui d’une des publications officielles du parti pendant les années 1990-2000 ou, encore, le slogan de la campagne présidentielle de 2002.

Une dernière chose : le 2 septembre, Riposte Laïque a fêté ses « dix ans de lutte contre l’islamisation de notre pays ». Ne pouvant s'y rendre faute de Fête du cochon, Fabien Engelmann a adressé un message à ses « amis » dans lequel il rappelle son « attachement aux valeurs » qu'ils défendent. Et de préciser : « nous subissons, en France, les ravages de l’islamisation destructrice pour notre pays, d’un raisonnement reconditionné et d’un esprit formaté. Il semble que tout ce qui se rattache à notre pays, à son histoire et à ses traditions, doit être camouflé ou soigneusement évité. Une telle aversion de soi et de ses origines relève de la pathologie. Face à cette idéologie sectaire, figée dans son passé, en totale contradiction avec notre constitution, nos valeurs des droits de l’homme et des libertés individuelles, du respect de la femme et des animaux, l’heure est au rassemblement des patriotes et ce sans sectarisme ». Qui parle ? L'ancien de Lutte ouvrière, du Nouveau Parti anticapitaliste, de la CGT, le maire de Hayange, le conseiller régional du Grand-Est, le défenseur de la cause animale, etc. ? Que ce soit Place de l'Hôtel de Ville à Hayange ou sur le site de Riposte Laïque, Fabien Engelmann assume ses propos islamophobes.