Le FN reprend les vieilles recettes. À quelques mois des régionales, la présidente du Front national propose plus que jamais un discours politique reposant sur les thématiques phares du FN parmi lesquelles le marqueur central : la « préférence nationale » rebaptisé « priorité nationale » par le FN mariniste.
La thématique anti-immigration prend corps à la fin des années soixante-dix. C'est avec son affiche emblématique « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! » que le FN met les deux pieds dans cette histoire. Dans quel contexte le Front national l'a-t-il adoptée ? Et que lui a-t-elle rapportée ? Retour quelques décennies en arrière.
"1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop !"
C'est dans le cadre des législatives de mars 1978 que le FN s'empare de cette formule et impose sa nouvelle orientation rhétorique : montrer les « dangers de l’immigration ». Sur la base de son slogan « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! », l’immigration est présentée comme un « problème excessivement grave au regard de notre situation économique et sociale », explique Jean-Marie Le Pen. Au micro d’Europe 1, le président du FN poursuit : « Les immigrés pèsent sur la vie économique de notre pays. Ils sont très coûteux, nous reviennent plus cher que les Français et ils empêchent la révolution pacifique moderne qu’est la revalorisation du travail manuel ».
La dénonciation « sociale » de l’immigration s’impose à ce moment. En prenant cette voie, le FN entend courtiser les classes populaires tout en préservant son anticommunisme. Dès 1973, le FN prenait cette voie avec sa première affiche sur l'immigration, « Halte au chômage Le travail aux Français ». Un an plus tard, François Duprat insistait pour que le FN intègre dans ses thèmes électoraux celui de l’immigration. Pour lui, le discours du FN devait s’appuyer « exclusivement sur des arguments d’ordre rationnel, social et politique » ; le corrollaire étant la disparition de tout support diffusant une propagande raciste. En 1978, ses exigences sont acceptées et formulées à partir d’une sémantique adaptée.
L’affiche connaît plusieurs « actualisations ». Après la première version de 1978, une seconde est éditée à l’identique deux ans plus tard (« 2 millions de chômeurs, ce sont 2 millions d’immigrés en trop ! La France et les Français d’abord ! » )… puis une troisième en 1982 (« 3 millions de chômeurs, ce sont 3 millions d’immigrés en trop ! La France et les Français d’abord ! » ). Seuls l’adresse du FN et les chiffres changent.
Le 4 janvier 1980, Jean-Marie Le Pen est inculpé pour « incitation à la discrimination raciale », suite à une plainte déposée par le MRAP, pour l’édition et la diffusion de la première affiche. Le président du FN fait mine de ne pas comprendre. Il dit s’être toujours exprimé avec « modération » et répète qu’il faut « organiser rapidement et le plus humainement possible le retour des immigrés dans leur pays d’origine ». Après avoir critiqué la loi Pleven de juillet 1972 (qui fait de l’incitation à la haine raciale un délit) et condamné le MRAP - l’organisation « communiste » - Jean-Marie Le Pen déclare : « Mon inculpation vise à discréditer un parti politique d’opposition et à esquiver les problèmes essentiels du chômage et de l’immigration. On ne saurait contester à un citoyen français la possibilité de réclamer le droit au travail pour les Français, car j’estime que lorsque sévit la crise économique les travailleurs français doivent bénéficier d’un droit prioritaire ».
Un angle d’attaque porteur… et inédit !
Avant François Duprat, d’autres de la famille de l'extrême droite française avaient soufflé cette idée à Jean-Marie Le Pen. Considérant ce thème « porteur », ces hommes pensaient alors « mettre en avant l’immigration qui suscitait de plus en plus d’inquiétude, et utiliser ce thème comme vecteur pour d’autres idées de caractère social ou économique ». Au début des années soixante-dix, Jean-Marie Le Pen considère cette thématique intéressante mais ne l'exploite pas. Il se rend compte de sa pertinence lors des élections de 1978. Le choc pétrolier est passé par là. Entre 1974 et 1976, le nombre de chômeurs a considérablement augmenté, atteignant le stade du million. Les affiches et slogans du FN s’adaptent rapidement au contexte. « 1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés de trop ! » devient le « slogan emblématique du combat frontiste » contre l’immigration.... tout comme « La France et les Français d'abord ! »
En peu de temps, rapporte le FN, 500 personnes écrivent au siège pour se « documenter plus largement et (les) féliciter ». De nombreux contacts sont établis au niveau des sections et des fédérations. 50 000 bandeaux, 20 000 affiches et 150 000 nouveaux tracts, sur le thème « La France et les Français d’abord », sont diffusés par les sections FN. Les murs des grandes villes se couvrent des affiches « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! » ; « Halte au chômage, le travail aux Français » ; « Immigration stop les Français d'abord ».
« Non à la submersion migratoire »
Aujourd'hui, le thème fondateur de la propagande frontiste subit une évolution. Il est accompagné d’autres orientations, dans le cadre de la mue affichée par le FN de Marine Le Pen. Aussi, à partir de ce socle idéologique intemporel – l’identité nationale –, le FN revient à ses thématiques phares qui sont la lutte contre l’immigration liée à l’insécurité : priorité accordée aux Français, suppression du regroupement familial, droit du sol et arrêt des régularisations ainsi que répression accentuée et budget renforcé pour le domaine de la sécurité.
Aujourd'hui, Marine Le Pen concentre ses propos sur la crise des migrants. Sa rhétorique est ciblée : « invasion », « crise migratoire », « explosion », « submersion », « immigration massive », « villes assiégées », etc. Dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, les sondages successifs ne font pas qu'annoncer l'éventuelle victoire de Marine Le Pen pour la présidence de la région. Dans un territoire meurtri par une situation économique difficile, et non loin de Calais, la présidente du FN réactive cette thématique et la colle au contexte local. Elle prolonge, sur la forme comme sur le fond, une histoire inaugurée par son père.