Parmi les 150 nouveaux mots proposés par Le Larousse au printemps 2016 figure celui de « dédiabolisation » accompagné de cette définition : « Action de dédiaboliser, de faire cesser la diabolisation de quelque chose, de quelqu’un ». Marine Le Pen y est-elle pour quelque chose ? Si l'on ne pourra jamais répondre vraiment à cette question, une chose est certaine : depuis quelques années, ce mot est régulièrement accolé à deux lettres : FN.
Depuis que le parti d'extrême droite existe, cette notion - qui ne porte pas encore son nom - est consubstantielle au FN. Dès son apparition, ce qui n'est encore qu'un groupuscule tente de s’affranchir de la dénomination d’extrême droite et de son lien avec l'organisation néo-fasciste Ordre nouveau.
Bruno Mégret, l'initiateur de la dédiabolisation frontiste
La dédiabolisation se concrétise réellement aux lendemains des régionales du printemps 1992. Une note interne – méconnue - rédigée suite à une réunion de travail du cercle mégrétiste (17 avril 1992) s’applique à la détailler. La dédiabolisation du FN y est présentée comme l’unique solution pour acquérir la carrure d’un parti de gouvernement. L’objectif ? Permettre au FN de se positionner différemment dans le paysage politique tout en faisant montre d’une idéologie plus consensuelle.
La dédiabolisation veut rompre avec la représentation du parti d’alors afin d’en acquérir une « moins péjorative et plus nationaliste ». Il s'agit de travailler sur la crédibilité du FN par la banalisation et le changement de son image. Trois aspects sont mis en évidence :
- le travail sémantique, la « bataille des mots » : il faut « rassurer, plaire et faire rêver (…) vendre de l’amour ».
- l'évolution du discours sur les marqueurs du FN tout en puisant ses thèmes dans le patrimoine des autres partis politiques. Le FN confirme l’élargissement de ses thématiques jusqu’à aborder celles qui semblaient réservées à ses opposants politiques.
- l'insistance sur le social. Comme le rapporte la note interne, il est nécessaire de prendre davantage en compte la « défense des Français », les préoccupations des milieux populaires pour lesquels il faut valoriser un programme social. Par exemple, en ce qui concerne « l’anti-immigration, il s’agit d’adopter une attitude de riposte : parler de l’exclusion sociale des Français ». Il est temps de « récupérer le mythe de la justice sociale que s’est appropriée la gauche ».
Les sept items
La dédiabolisation mégrétiste repose sur 7 points :
1. « Combattre la qualification d’extrémisme ». Il s’agit d’utiliser des termes simples et peut-être de « désigner et de stigmatiser les mouvements d’extrême droite afin de nous démarquer géographiquement et idéologiquement de ce qualificatif ».
2. « Riposter aux accusations sur la Seconde guerre mondiale ». Le FN veut faire connaître par des « documents grand public » sa position qui doit rappeler la « condamnation du nazisme et de ses exactions, celle du régime de Vichy, la présence d’anciens résistants dans nos rangs et notre discours de réconciliation nationale ».
3. « Mettre les lobbies en porte-à-faux ». Il serait « souhaitable de mener une politique de dialogue et de main tendue en direction de ceux au nom de qui on nous attaque ».
4. « Développer le thème de la nouvelle résistance ». Il faut démontrer que « notre combat d’aujourd’hui s’apparente à celui des résistants d’hier et donner corps à cette thématique en mettant en avant nos anciens résistants et les motivations qui sont les leurs pour s’engager à nos côtés ».
5. « Contre-attaquer les médias ».
6. « Éviter de donner prise à la diabolisation » dans le but « d’accroître le fossé qui sépare ce qu’on dit sur nous de ce que nous sommes. À cette fin, le vocabulaire d’avant-guerre doit être proscrit et surtout tous les propos qui peuvent être interprétés comme des manifestations de racisme ou d’antisémitisme. La ligne des journaux proches du Front national devrait être revue en conséquence ».
7. « Accroître l’invraisemblance d’un Front national prétenduement [sic] fasciste ».
La note insiste sur la « faiblesse du discours économique FN pour les bourgeois » et souligne l’absence de « cadres crédibles en la matière ». Il lui faut donc trouver et former une équipe de « personnalités compétentes ». Elle revient également sur une des étapes centrales : mener des « attaques » contre les partis adverses et inverser le phénomène.
Un handicap de taille
Mais la priorité reste de surmonter un handicap central : celui de la diabolisation. Celle-ci ne fait pas que susciter la peur des électeurs. C’est elle qui confère au FN une absence totale de crédibilité et de perspectives sur le plan politique. Un obstacle s'impose et il est de taille. Jean-Marie Le Pen est, depuis la fin des années 80, l'acteur principal de la diabolisation. Ses pseudo-dérapages sont devenus des obstacles à l'avenir politique du Front national. Et personne ne peut - et ne se risque à - faire taire le président du FN.
Certes, la démarche du Délégué général du FN met en évidence certaines contradictions au cœur du mégrétisme, notamment sur l’analyse de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ; l'antisémitisme étant un des marqueurs du FN.Toutefois, Bruno Mégret et ses proches n'ont pas fait que conceptualiser cette notion. Ils sont parvenus à mettre certains de ses aspects en oeuvre pendant les années 1990. Cependant, l'histoire de la fin des années Mégret est connue. Le second du FN a tenté de se débarrasser du président et n'y est pas parvenu.
Les priorités thématiques liées à la dédiabolisation mégrétiste constituent la base programmatique du Front national sous la présidence de Marine Le Pen. La présidente du FN est en train de franchir la dernière étape indissociable à la dédiabolisation : se débarrasser de son principal obstacle, à savoir son père. Pendant des années, un des slogans du FN a été : « Le Pen dit la vérité. Ils le bâillonnent ! ».
Ce temps est aujourd'hui révolu.