C’était Jean-Marie Le Pen (5)….

Cela fait un bon moment que Jean-Marie Le Pen se donne en spectacle lors de ses réunions publiques. Pendant les années 1980, ses interventions prennent une nouvelle tournure. Deux raisons essentielles : la première relève du contexte historique. Le FN débute son ascension politique. Les salles de meeting se remplissent. Des centaines de personnes viennent écouter Jean-Marie Le Pen alors que, quelques années plus tôt, il se produisait devant une vingtaine de militants. La seconde tient à Jean-Marie Le Pen et à sa stratégie. Il veut faire du bruit, étonner... comme il dit « surprendre » afin de gagner en visibilité politique et médiatique. Surtout, il entend se démarquer des autres hommes politiques.

Pendant les premiers temps, Jean-Marie Le Pen « teste »  ses idées scéniques - empruntées pour certaines à des hommes du spectacle -, devant ses amis. Tous savent, et le président du FN le premier, que sa prestation doit être appréciée - autant que ses répercussions - auprès des militants mais aussi des adversaires politiques du Front national.

« Comme pour Montand quand il entre en scène… »

Les meetings du début des années 1984, dans le cadre de la campagne des Européennes, commencent à répondre à une certaine organisation. Dans la salle, la lumière, la sono et, éventuellement, une banderole FN sont les trois composantes du décorum. Début mars, le président du FN se trouve à Nice ; il s'essaie en province avant de se « produire » à Paris.

Tel un homme de spectacle, il entre en scène… et entonne, à la surprise quasi-générale, une chanson d’Yves Montand. L’obscurité est quasi-totale ; seul un projecteur est fixé sur lui. Manifestement, le public est séduit. L’équipe sur place a répondu aux exigences scéniques du président du FN. Celui-ci imaginait, depuis quelques jours, le « spectacle » qu’il allait offrir à ses militants… Surtout depuis qu’il avait vu Yves Montand à la télé. Il en avait fait part à ses amis : « Voyez-vous, il y a quelques jours, à la télévision, Monsieur Yves Montand s’est découvert une âme de conférencier politique, donnant son avis sur tout. Il ne m’en voudra pas si, pour quelques dizaines de secondes, empoignant la sono, je l’ai remplacé dans ses prestations habituelles (…). Il faut surprendre. Il faut sans cesse faire du neuf. Si ça marche, tous les journaux vont en parler, Libé en tête. Je crois qu’il ne faut pas s’enfermer dans le conformisme. Hein ! Qu’est-ce que vous en dites ? (…) Ce qu’il faudrait, c’est qu’au moment où je vais gagner la tribune pour parler, tout soit plongé dans l’obscurité et que la seule lumière d’un projecteur soit braquée sur moi… Comme pour Montand quand il entre en scène… ».

« La grande époque du tribun »

Pendant les années 1980, Jean-Marie Le Pen offre ses meilleurs meetings. Son conseiller en communication Lorrain de Saint Affrique l’accompagne. Il se souvient : « Dans la voiture, il me disait : " Qu’est-ce que je vais pouvoir leur dire ? J’ai l’esprit vide." Je l’ai suivi des semaines entières. Il n’était jamais pareil. Chaque fois, il avait des idées neuves et faisait preuve d’une incroyable créativité et de ressources exceptionnelles. Indéniablement, cet homme possédait un art oratoire ».

Jean-Marie Le Pen voit de plus en plus grand. La campagne de la présidentielle de 1988 est scandée par de « grands rendez-vous » comme la « Convention Le Pen président » à Nice (8-10 janvier 1988) ou le meeting du stade Vélodrome de Marseille (17 avril 1988). Dans l’histoire du Front national, ce rassemblement est considéré comme un des plus importants du point de vue de la performance oratoire et physique de Jean-Marie Le Pen mais aussi de la présence du public, estimé par le FN à 30 000 personnes. Le meeting de Marseille est choisi pour une des affiches phares du parti d'extrême droite : « Le Pen Le Peuple ». Dans un ouvrage publié par le FN, 20 ans au Front. L'histoire vraie du Front national (éditions nationales, 1993), plusieurs photos de ce moment sont proposées. Celle ci-dessous est accompagnée de ces quelques mots : « une vue de l'incroyable meeting de Jean-Marie Le Pen au stade vélodrome de Marseille, archi-comble ».

LP Le Peuple 1

C’est un « événement fondateur » confirme Lorrain de Saint Affrique, « idéal tant sur le fonds que sur la forme ». L’homme de communication, à l’origine du slogan, sait que les images de stade sont populaires. C’est « toujours la même émotion », explique-t-il. Jean-Marie Le Pen est « une bête de scène invraisemblable ».  Quelques jours après, 10 à 15 000 militants se retrouvent à la fête Jeanne d’Arc du FN, ponctuée comme chaque année par un discours de Jean-Marie Le Pen.

Ses rituels se mettent en place... comme celui se s'avancer devant la scène, de se positionner au centre et de lever les poings vers le haut. Et son habileté oratoire se confirme : doté de micros HF, Jean-Marie Le Pen s'exprime sans notes, tout en déambulant sur scène.

Des prestations contrastées et controversées

Yann Le Pen et Jean-Pierre Gendron (alors époux de Marie-Caroline Le Pen) se chargent de l’organisation des meetings au début des années 1990. Selon eux, et ils en font part à Jean-Marie Le Pen, le FN doit changer de registre. Il s'agit de donner au parti d'extrême droite une nouvelle dimension. Bref, d'inventer autre chose... et, si possible, proposer du grand spectacle. Jean-Pierre Gendron soumet à Jean-Marie Le Pen quelques maquettes de ses idées pour la fête annuelle du FN, les Bleu-Blanc-Rouge (BBR). On y voit des écrans géants, des vasques enflammées... une mise en scène accompagnée d'effets spéciaux et du Carmina Burana de Karl Orff. Le FN a les moyens financiers d’assurer ce nouveau genre, censé flatter l’ego de Jean-Marie Le Pen. L’idée est de donner une nouvelle image du Front national : imposante et, pourquoi pas, solennelle.

Selon le FN, la fête des BBR d'octobre 1991 revêt un « caractère grandiose et futuriste (...) l'alliance d'une esthétique futuriste et des drapeaux des patries régionales ».

 

Jean-Marie Le Pen aux BBR de 1991 (20 ans au Front. L'histoire vraie du Front national).

En interne, le décor mis en place et la prestation de Jean-Marie Le Pen font plutôt sourire. Dans les coulisses, on se souvient d’un Le Pen – pris en étau entre deux vasques de feux et des projecteurs à pleine puissance, laissant échapper une température supérieure à 40 degrés – « dans un état de rage incroyable alors qu’il redescend de la tribune après son discours... un grand moment d’engueulade » rapporte un ancien cadre du FN.

Plus tard, à l’occasion d’un 1er mai Place du Palais-Royal, la montée des marches de Jean-Marie Le Pen laisse également un grand souvenir. Jean-Marie Le Pen accède au sommet avec un élévateur.... pour atteindre le haut d’une sorte de pyramide aztèque, à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. Il est « furieux » . Beaucoup considèrent cette nouvelle mise en scène disproportionnée et ridicule.

À partir de la fin des années 1990, le parti comme son président traversent des périodes contrastées, entre passages à vide et renaissance... Les meetings de Jean-Marie Le Pen répondent à la même logique. Par exemple, fin mai 1997, dans le cadre d'une réunion au Palais des Sports de Paris (pour la clôture de la campagne des législatives), Jean-Marie Le Pen choisit de provoquer : il « offre »  à Marie-France Stirbois, sur un plateau, une tête en carton à l’effigie de la socialiste Catherine Trautmann, une des initiatrices des contre-manifestations citoyennes de Strasbourg. Cinq ans plus tard, pendant la campagne de l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2002, l'homme politique fait meeting dans une salle du Palais des Sports de Marseille pratiquement vide.

L'après Le Pen

Le premier meeting de la présidente du FN  (11 décembre 2012), à Metz, se démarque sur bien des points de ceux de son père : musique, décor, absence de la flamme frontiste en arrière-plan... et lecture de son discours, figée derrière un pupitre. Au fil du temps, Marine Le Pen prend de l'aisance. La mise en scène de ses meetings, sa gestuelle ressemblent de plus en plus à ceux de son père.

Les dernières réunions publiques de Jean-Marie Le Pen ont montré son goût et son talent pour « parler » à ses militants. Au Congrès de Tours, il savait qu’il prononçait ses ultimes paroles comme président du FN. Certains ont considéré que c’était un de ses « plus beaux discours ».

Le 1er mai dernier, Jean-Marie Le Pen a choisit de se faire remarquer. En plein crise du FN, il dépose une gerbe au pied de la statue de Jeanne d'Arc et crie : « Jeanne, au secours ! ». Il est entouré de militants qui huent son nom. Avant que Marine Le Pen ne débute son discours, l'ancien président du FN monte sur la tribune. Il y reste quelques minutes, souriant, acclamé par la foule... et manifestement heureux de sa performance. La rentrée politique du FN, à commencer par l'Université d'été à Marseille les 5-6 septembre, pourrait bien voir Jean-Marie Le Pen s'octroyer une place sur cette scène qu'il aime tant...même s'il n'y est pas invité.