Le FN va-t-il changer de nom ?

Autocollant du FN, années soixante-dix (archives personnelles).

Le FN va-t-il suivre l’exemple des Républicains, anciennement UMP, dans la perspective de la présidentielle de 2017 ? Au Front national, tous répètent que le changement de nom n'est pas à l'ordre du jour. Pourtant, quelques faits pourraient remettre en cause cette affirmation.

La probable exclusion de Jean-Marie Le Pen, qui interviendra début juillet, confirmerait cette idée. Les récents « dérapages » de l'ancien président du FN n'ont certainement fait qu'accélérer une dynamique, enclenchée depuis quelques années au Front national. Une nouvelle appellation pour le parti d'extrême droite entraînerait inéluctablement la mise en place d'un autre logo. Le FN s'apprête à tourner la page Jean-Marie Le Pen. La marque Le Pen en sortira-t-elle gagnante ? L'enjeu est là.

Il s'agit de capter une clientèle politique large, non restreinte à l'extrême droite traditionnelle. En même temps, il faut savoir que le FN s'est plusieurs fois affranchi de sa dénomination lors d'élections diverses pour, justement, parvenir à élargir son spectre politique.

L’émergence politique du parti ne se produit pas sous le sigle FN

Aux élections européennes de 1984, la liste conduite par Jean-Marie Le Pen prend la dénomination de « Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries ». Deux ans plus tard, dans le cadre des législatives, les candidats FN se présentent sous l’étiquette « Rassemblement national ». Pour la présidentielle de 1988, le nom du parti et son logo sont absents des affiches de la campagne présidentielle. Pour 2012, Marine Le Pen se conforme à cette ligne.

C’est une stratégie élaborée qui recouvre un objectif principal : attirer des transfuges d'autres formations et/ou horizons politiques. Pendant les années 80, Jean-Marie Le Pen veut éviter de reproduire ce qui s’est passé avec « les poujadistes qui avaient fait élire des gens qui n’avaient pas du tout l’envergure d’assumer ce genre de fonctions. Il est donc allé ailleurs pour chercher des gens », m’expliquait Bruno Mégret en juillet 2013. La plupart des ralliés viennent alors de la droite classique. Ils arrivent avec leur propre culture politique et s’opposent aux anciens du FN.

Un changement de nom plusieurs fois évoqué

Depuis la fondation du parti, cette hypothèse a été mise en avant à plusieurs reprises. Si Jean-Claude Martinez propose, par exemple, le « Front alter-national » - se référant au concept des altermondialistes -, la question se pose sérieusement à l’approche du scrutin législatif anticipé de 1997 ; ceci uniquement pour des raisons administratives. Un jour, rapporte Franck Timmermans (entretien du 9 mai 2013), Jean-Marie Le Pen, « qui présidait la cellule électorale réunissant les principaux dirigeants et chefs de service, a évoqué l’éventualité de devoir changer le nom du mouvement, du moins celui sous la bannière duquel se présenteraient tous nos candidats aux législatives, pour pouvoir ensuite bénéficier de la subvention électorale. Il craignait en effet que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne saisisse le Parquet à cause des comptes des campagnes précédents, litigieux, et que les suites judiciaires n’entraînent la disqualification du FN à pouvoir bénéficier de la manne gouvernementale. Il était très inquiet et nous étions tous médusés. Heureusement, les événements ont pris une autre tournure, mais l’urgence d’un plan B avait été sérieusement mise à l’ordre du jour ».

Des années plus tard, lors du congrès de Nice (19-21 avril 2003), Jean-Marie Le Pen « a failli être convaincu ». Il n’était pas hostile à l’idée de changer de nom. Mais la marque originelle perdure.

Le RBM, un premier pas

Ce qui doit être considéré comme une association politique tient son nom de l’association Énergie Bleu Marine, de Robert Ottaviani, directeur national adjoint du Front national de la Jeunesse (FNJ) dans les années quatre-vingt et chanteur du défunt groupe de rock identitaire de la mouvance skinhead, Ultime Assaut : l'association Rassemblement Bleu Marine (RBM) est déclarée à la préfecture de l’Essonne, en octobre 2008. Son objet est la « défense de l’identité et de la nation française ainsi que le soutien à la candidature nationale à l’élection présidentielle de 2012 ».

Le concept est simple. Avec « bleu marine », l’idée évolue. « On met une couleur rajoutée à un prénom ; une façon plus romantique de dire qu’on est au FN », rapporte Jacques Olivier, ancien responsable de l'Atelier de propagande du FN. Ce qui doit être considéré comme une simple étiquette électorale représente, pourtant, bien une étape de transition. L’objectif du RBM, rapporte l’article 2 de ses statuts (19 septembre 2012) est de « rassembler l’ensemble des patriotes attachés à la souveraineté du peuple français et au respect des valeurs de la République française. Peuvent y adhérer des personnes physiques ou morales, ainsi que des partis ou groupements politiques ». Des personnalités d’horizons divers rejoignent, dans un premier temps, la structure mariniste.

Mi-janvier 2012, Louis Aliot dépose le nom « Alliance pour un rassemblement national » à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). En même temps, le vice-président du FN, chargé de la formation et des manifestations, se dit « partagé sur le changement de nom » et, même, plutôt défavorable. Pourquoi ? Beaucoup ont conscience de la pertinence de l’étiquette FN, rattachée au patronyme Le Pen ; une configuration unique dans l'histoire politique française. Et ils savent que les deux lettres FN peuvent être, à elles seules, garantes du vote.

Début avril 2015, Joffrey Bollée, le directeur de cabinet de Florian Philippot, dépose le nom « Les Patriotes ». Il justifie sa démarche dans un Tweet (5 mai 2015). « Bcp d'agitation pour rien. Le nom Les Patriotes n'a été déposé que pour protéger un nom que l'on utilise déjà » avec le réseau social du FN, lespatriotes.net.

« Des nouveaux statuts pour un nouvel élan »

L’intitulé du communiqué de presse du FN, daté du 12 juin, est significatif. Le Bureau politique du FN a fixé l’ordre du jour de « l’assemblée générale extraordinaire » convoquée début juillet. Il doit porter sur « la refondation des statuts du mouvement ». Ce projet sera soumis au vote des adhérents et leurs réponses connues aux alentours du 10 juillet.

Les nouveaux statuts du FN renforcent la « représentation des élus locaux et nationaux (en créant notamment un Conseil des élus locaux), favorisent la démocratie interne (en prévoyant une procédure de référendum consultatif interne), assouplissent les conditions de candidature à la présidence du Front National, redéfinissent les organes directeurs du mouvement (notamment par la suppression du statut de ''président d’honneur'') et précisent leurs rôles respectifs. Enfin, et de manière plus générale, cette rénovation du mouvement mettra en adéquation son organisation interne avec la nouvelle dimension politique et électorale qu’il a prise ».

Parmi ces quelques lignes, celles concernant Jean-Marie Le Pen sont centrales. Et le résultat semble connu d'avance. En tout cas, c'est l'idée qu'on affiche au FN. Florian Philippot disait récemment que la « page est tournée depuis très longtemps pour les électeurs, sympathisants et adhérents du FN. La crise, pour nous, c’est du passé ». La disparition de la fonction de président d'honneur, créée pour un homme et pour la circonstance, paraît évidente.

Le 14 juin 2015, Marine Le Pen déclare sur BFMTV qu'elle est « en train d'écrire le prochain chapitre de l'histoire du Front national qui, (elle) l'espère, sera victorieux ! ». Deux jours plus tard, le groupe FN est créé au Parlement européen... sans Jean-Marie Le Pen. La mise à mort politique du lepénisme a été, certes, progressive. Elle s'approche, aujourd'hui, de l'étape ultime.

Cela fait un bon moment que Jean-Marie Le Pen se dit totalement opposé au changement de nom du FN, conscient de la portée d'une telle mesure. Aujourd'hui, cette décision mettrait à mal quatre décennies d’histoire et achèverait, en quelque sorte, le ripolinage du FN. Reste à insister sur une question de sémantique. Mises à part quelques contextualisations et changements stratégiques sur le plan du positionnement politique, le marinisme équivaut au lepénisme. Seul le nom change.