La formation des militants et des cadres représente, pour le FN, un des éléments clés de la conquête du pouvoir. Marine Le Pen explique vouloir normaliser son parti, appuyant sa stratégie notamment sur la dédiabolisation. Les récents « dérapages » xénophobes, islamophobes ou encore homophobes de ses candidats aux diverses élections mettent évidemment à mal cette image.
La formation Campus Bleu Marine s’appuie sur celle dispensée pendant les années 90. Bruno Mégret en est l’instigateur. Parmi les objectifs principaux de la formation proposée : éviter les impairs de langage. Pourquoi une telle priorité et comment la mettre en application ? Bruno Mégret sait que si le FN veut parvenir au pouvoir, il doit évoluer et changer d’image. Aussi, le Délégué général du FN entend-il revêtir les habits d’un interlocuteur présentable ainsi qu’exiger de son parti un travail de fond sur les idées, qui passe notamment par la constitution d’un socle sémantique. Le Front national veut établir sa crédibilité et donc s’ouvrir à d’autres horizons, en proposant des thèmes d’accroche différents pour élargir son électorat et de nouvelles structures en vue de créer un substrat intellectuel et socio-professionnel. Une nouvelle fois, Marine Le Pen s'inspire de l'histoire du FN de son père. Le lancement du Collectif Culture-Libertés ce 2 juin doit être appréhendé dans cette perspective.
« Aucun mot n'est innocent »
L’Institut de formation nationale (IFN), créé en janvier 1989, est au centre de la formation frontiste des années Mégret. Cet organisme amène l’observateur au plus près du FN et de ses membres, à commencer par le militant, « premier contact que la population aura avec le Front national. Il est la vitrine du Mouvement. C’est à travers lui que le mouvement sera perçu et avec lui, les idées que nous défendons. Aussi, doit-il avoir une attitude et un comportement exemplaires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Front National ». L’IFN délivre – sur place essentiellement – des séminaires de formation des cadres. Il inculque les principales règles de comportement qui doivent être connues et respectées de tous pour parfaire l’aptitude au combat politique.
Les brochures internes de l'époque rendent compte du travail des intervenants - cadres, élus FN et « spécialistes amis » - qui élaborent la rhétorique du mouvement. Elles insistent, notamment, sur l’apprentissage et la construction des valeurs de communication frontistes. Il est, entre autres, recommander d’adopter un « comportement serein et confiant qui désarmera l’hostilité et l’agressivité ».
Les cours dispensés pendant les années quatre-vingt-dix se focalisent sur l’utilisation d’un vocabulaire adéquat, construit et créé pour la circonstance. « L’image » du FN en dépend. Elle compte tout autant que les thèmes véhiculés par le parti. Selon le FN, ses idées sont admises par la moitié des Français. Seulement, le parti de Jean-Marie Le Pen ne séduit pas car son image a été « dénaturée par les campagnes de calomnies ». Il faut donc renverser la tendance et déconstruire cette image. Ne plus être dans des « évocations négatives », des « références passéistes », mais faire des efforts pour convaincre et séduire : « une main de fer (le discours) dans un gant de velours (l’image), voilà l’objectif ».
Ne pas utiliser de propose [sic] outranciers
Une attention particulière est apportée aux choix des mots utilisés. Bruno Mégret a souvent montré l'intérêt qu’il porte à la sémantique pour mener son combat politique. Il ne faut pas utiliser le vocabulaire de l’adversaire, rapporte une note interne de l’IFN mais créer son propre vocabulaire. « Aucun mot n’est innocent. On peut même dire que les mots sont des armes, parce que derrière chaque mot se cache un arrière-plan idéologique et politique », peut-on lire dans une autre note qui se concentre sur un registre combatif. Les idéologues frontistes veulent faire passer un message central : l’adoption d’un double jeu, d’un double niveau de langage. Le militant FN choisit les « thèmes sensibles à développer » et les mots clés en fonction de la personne qu’il a en face de lui. Voici ce qu'on peut lire dans la note interne (non datée) de l'IFN intitulée « L’image du Front national », diffusée par la Délégation générale.
« Pour séduire, il faut d’abord éviter de faire peur et de créer un sentiment de répulsion. Or dans notre société soft et craintive, les propos excessifs inquiètent et provoquent la méfiance ou le rejet dans une large partie de la population. Il est donc essentiel, lorsqu’on s’exprime en public, d’éviter les propos outranciers et vulgaires. On peut affirmer la même chose avec autant de vigueur dans un langage posé et accepté par le grand public. De façon certes caricaturale au lieu de dire "les bougnoules à la mer", disons qu’il faut "organiser le retour chez eux des immigrés du tiers-monde" ».
En parallèle à cette formation politique et doctrinale apparaît, fin 1989, une formation pratique et théorique, rattachée au Secrétariat général. Carl Lang créé une section des cadres, chargée de la formation technique aux méthodes d’animation, d’encadrement et d’organisation. Placée sous la responsabilité de Franck Timmermans, nommé secrétaire national à l’encadrement, elle doit également assurer la promotion et le suivi des meilleurs éléments parmi les militants en leur confiant progressivement des postes de responsabilité. Elle s’oppose à la première sur de nombreux points, notamment sur la méthode.
La scission de 1998 donne un coup d’arrêt brutal à cette double formation. Quinze ans plus tard, Marine Le Pen la réactive avec le Campus Bleu Marine, qui a pour horizon immédiat les municipales de 2014. Les similitudes entre les deux formations sont plus que troublantes. Elles sont transparentes.