Une momie, un reality show et de l’indécence

La chaîne américaine Discovery Channel, habituée des documentaires et des shows plus ou moins fantaisistes, n’a jamais fait dans la délicatesse. Mais l’émission Expedition Unknown (« Josh Gates et les trésors perdus », dans la version française) a franchi un cran supplémentaire en procédant le 7 avril à l’ouverture en direct d’un sarcophage égyptien. Au mépris de la décence la plus élémentaire.  

 « Amazing », « unbelievable », forcément. Annoncée depuis des jours à grands renforts de bandes-annonces plus racoleuses les unes que les autres, l’ouverture d’un sarcophage égyptien vieux de 25 siècles s’est déroulée comme prévu en direct. Après avoir promené le public un bon moment dans les tunnels d’une nécropole récemment découverte par les archéologues à un emplacement jusque là gardé secret, les caméras s’arrêtent. Devant elles, un sarcophage de calcaire blanc, le clou d’un show bien évidemment coupé toutes les dix minutes par quelques tunnels publicitaires. Et Josh Gates, le présentateur de l’émission, peut aligner les superlatifs à la lueur des lampes des caméras : la momie tant espérée est bien là, sous son couvercle de calcaire.

La promesse faite aux spectateurs était tenue : jouer les Indiana Jones par caméra interposée, se glisser quelques minutes dans les pas de Howard Carter, l’archéologue qui dégagea la tombe de Toutankhamon, et poser les yeux sur une momie oubliée des dieux et des hommes depuis 25 siècles, celle en l’occurrence d’un prêtre de Thot – heureux hasard, Thot étant le dieu à tête d’ibis (ou de babouin), l’incarnation de la connaissance et le seigneur du Temps dans le panthéon égyptien.

Le coup médiatique dans toute sa splendeur, sur fond de frisson – après tout, les momies, ça a un petit côté malédiction tout ce qu’il y a de rentable auprès des annonceurs. Et finalement pourquoi pas, diront certains ? L’éternel argument de ce genre de cirque médiatique est toujours le même : faire découvrir une civilisation de façon moderne et attirante, séduire de nouveaux publics, échapper à l’ennui de cours d’histoire forcément assommants et des musées bien entendu poussiéreux et j’en passe.

Et pourtant, quitte à passer pour tatillon, plusieurs choses ne vont pas dans cette histoire qui heurte profondément.

« En direct », vraiment ? 

Histoire de donner une touche de sérieux à son direct, Josh Gates s’est bien entouré – un moyen peut-être de contrebalancer sa tendance à en faire des tonnes pour ressembler à Indiana Jones.

Mais alors vraiment des tonnes.

À ses côtés, deux sommités étaient présentes pour décrypter ce qui se déroule sous l’objectif des caméras : Mostafa Waziri et Zahi Hawass. Grand patron du Conseil suprême des antiquités, le premier passe beaucoup de temps dans les médias, essentiellement pour y promouvoir le futur GEM (Grand Musée Égyptien), qui sort actuellement de terre au Caire, à deux pas des pyramides de Gizeh. L’enjeu est considérable, tant l’Égypte compte sur le retour des touristes pour soutenir son économie. Inviter des chaînes comme Discovery fait partie d'une stratégie globale destinée à inciter le public américain en l'occurrence, à retourner visiter le pays des Pharaons, et tant pis si les conditions de sécurité ne sont pas optimales dans la zone concernée, loin du Caire.

Zahi Hawass, de son côté, est une figure connue : chercheur et archéologue, ancien ministre sous Hosni Moubarak, il ne ménage pas ses efforts pour « vendre » l’Égypte antique et pour défendre le patrimoine antique de son pays. Il s’est notamment fait connaître en réclamant depuis 2010 le retour de plusieurs trésors archéologiques aujourd’hui conservés dans des musées occidentaux, dont la pierre de Rosette, exposée au British Museum, ou le buste de Néfertiti, visible à Berlin.

Petit problème : son indéniable engagement au service du patrimoine de son pays a déjà poussé Zahi Hawass à franchir la ligne jaune qui sépare le scoop du mensonge.

En 1999, pour les besoins d’un reportage de la chaîne américaine Fox, Zahi Hawass avait fait mine de découvrir des tombes vieilles de 5 000 ans. Une bien belle mise en scène : les tombes avaient en réalité été découvertes plusieurs semaines avant, ce que Hawass avait admis plus tard. Pour se justifier, Hawass avait expliqué à l’époque que « si vous êtes un bon archéologue, vous n'ouvrez jamais un objet en direct. Si vous ouvrez un sarcophage comme celui-ci en direct, vous gâchez tout. » Le travail des scientifiques s’accommode en effet mal de la présence d’une équipe entière de télévision. Braquer des projecteurs puissants sur des objets protégés depuis 20 ou 25 siècles de la lumière et de l’air extérieur a de bonnes chances de les fragiliser, sinon de les abîmer de façon irrémédiable. Et encore, on fait court pour résumer l'essentiel : on mène rarement un travail scientifique valable pendant qu'on est filmé direct.

Soit le docteur Hawass a changé d’avis et oublié certaines bases, soit on attendra un peu avant d’avaler le coup de l’ouverture « en direct ». Tout en précisant que les fouilles ont été en parties financées par Discovery.

Et la pudeur, bordel ?

Mais l'essentiel est finalement ailleurs. Une tombe n’est pas le décor de Secret Story et les dépouilles de personnes soigneusement momifiées voici 25 siècles à la demande de leurs familles ne sont pas le terrain de jeu d’une équipe de pseudos aventuriers. C’est là une question de respect élémentaire, une manière aussi d’intégrer le fait que les dépouilles qu’on étudie pour comprendre les civilisations passées doivent être traitées avec un minimum d’éthique et de considération. Cette notion de dignité est d'ailleurs de plus en plus présent dans l'esprit des chercheurs et des conservateurs, au point que les dépouilles et les restes humains sont de moins en moins souvent exposés aux regards des visiteurs dans les musées. Lorsque ceux-ci choisissent de les présenter, laisser le choix de voir ou de ne pas voir devient le plus souvent la règle : momies et squelettes sont ainsi placés dans des pièces à part, et présentés dans un cadre intime et approprié. Une question de respect, pour les morts comme pour les vivants. 

On imagine assez la réaction des Américains si une équipe égyptienne se rendait dans un cimetière  en plein Massachussetts pour y défoncer avec gourmandise le couvercle d’un cercueil du 17e siècle, avant de diffuser le tout en direct avec gourmandise, à grands renforts de amazing et de regards caméras.

C’est exactement ce qui vient de passer sur Discovery Channel. À croire que le respect des morts est à géométrie variable.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu