A l'approche du 11 novembre, célébrations et commémorations vont se succéder ces prochains jours dans tout le pays, rappelant que le 11 novembre 1918, à 5 heures 15 du matin et dans le wagon-restaurant d’un train stationné près de Rethondes, les délégués allemands signaient l'armistice qui devait mettre fin aux combats, après 4 ans de conflit. Un peu partout, on lit que l'événement signe la fin de la guerre - c'est en fait un peu plus compliqué que ça...
L’Armistice n’est pas la paix
Effective à 11 heures du matin le 11/11, la cessation des combats qu'amène l’Armistice est-elle la paix ? Pas vraiment. Au-delà du fait qu’on continue de mourir sur le front jusqu’à la minute qui précède son entrée en vigueur [1], sa durée initiale n’est que de 36 jours et il devra être renouvelé à plusieurs reprises avant la signature du traité de paix de Versailles, le 28 juin 1919.
L’Armistice n’est pas la paix, il n’est pas non plus une capitulation. Si les deux interrompent ou mettent fin à des combats, la nuance n’a rien de secondaire. La capitulation est une décision militaire qui marque une défaite majeure et se solde par la transmission au moins partielle du pouvoir à l’ennemi sur un territoire donné. L’armistice est une décision politique qui n’a aucune implication sur ce plan : l’Allemagne continue d’être administrée par l’Allemagne seule et son armée aurait pu poursuivre les opérations, du moins un moment.
Le 11 novembre marque plutôt le début d’un entre-deux complexe, entre guerre et paix, mouvement au demeurant entamé plus tôt : la signature de Rethondes est la dernière d’une série de six armistices [2] qui ne mettent d’ailleurs pas fin aux combats dans toute l’Europe, loin de là. Bref : ce n’est plus la guerre, ce n’est pas encore la paix, au point que les historiens s'entendent désormais pour désigner cette période comme la sortie de guerre, plutôt que comme l’après-guerre.
Le dangereux terreau de l'amertume allemande
Une partie du peuple allemand fut d’ailleurs convaincue un instant que l’Allemagne avait gagné la guerre. Une réaction qui semble à peine croyable si on oublie que l’information n’est pas aussi rapide qu’aujourd’hui d’une part, qu’à l’automne 1918, le territoire du Reich n’est pas envahi d’autre part : le front se situe toujours hors de ses frontières.
Pour une partie de la population, la défaite était à peine pensable. Dans son ouvrage L’aveuglement, l’historien Marc Ferro rappelle les termes ambigus du haut commandement allemand : le communiqué du 11 novembre indique que « les soldats reviennent invaincus du champ de bataille ». Un mois plus tard, le chancelier Ebert accueille une dizaine de divisions qui défilent en plein Berlin par un discours qui insiste à nouveau sur l’invincibilité militaire de l’Allemagne : « Je vous salue, soldats ; les rudes exigences des vainqueurs pèsent lourdement sur nos épaules, mais (…) aucun ennemi ne vous a vaincus ».
Pour être clair, l’idée ne tient pas : malgré une série d’offensives spectaculaires au printemps 1918, la situation des armées allemandes est de plus en plus intenable à l’automne 1918. Non seulement ces tentatives ont mis 900 000 hommes hors de combat, tués ou blessés, mais elles se sont enlisées. L'effet était déjà désastreux sur le moral de soldats déjà épuisés par quatre ans de conflit mais la bataille d’Amiens, entamée en août 1918, a sonné le glas de ses derniers espoirs face à des Alliés supérieurs en tout, du nombre (2 millions de soldats américains sont arrivés sur le front) au matériel, à commencer par les tanks. Le chiffre des soldats déserteurs, réfractaires ou réticents à retourner au front en témoigne : plus d’un million dans les dernières semaines, d’après l’historien Whillelm Deist. L’armée allemande peut certes continuer de combattre, mais elle est au bord de la rupture et son haut commandement en a conscience.
Au-delà d’une situation militaire désespérée, la demande d'armistice est aussi la conséquence d’une situation intérieure très délicate, marquée par l’abdication de Guillaume II le 9 novembre. C’est précisément ce qui alimentera le discours du « coup de poignard dans le dos », le Dolchstoss, notamment porté par les militaires allemands et en particulier par Ludendorff. L’homme fort du haut-commandement qui avait pourtant été le premier à réclamer un armistice à son gouvernement, dès le 28 septembre 1918 ne fut pas le dernier de ceux qui accusèrent ensuite « l’arrière » d’avoir trahi le pays – pêle-mêle les politiciens, les civils, les déserteurs, les révolutionnaires de la Ligue Spartakiste, les autres mouvements communistes… Thèse qui plombera sérieusement les débuts de la République de Weimar et que les nazis exploiteront à leur tour, faisant au passage des Juifs les principaux responsables de la défaite.
1917-1923 : 27 autres conflits en Europe
Au niveau européen, les affrontements sont loin de s’achever dans la clairière de Rethondes. De 1917 à 1923, l’Europe est déchirée par 27 conflits distincts [3], d’ampleur certes régionale mais directement ou indirectement liés au conflit mondial. Certains relèvent de la guerre civile, comme dans une Russie secouée par les suites de la Révolution de 1917 ou… l’Allemagne, marquée par la chute du Kaiser Guillaume II et les affrontements de début 1919 entre spartakistes et Corps francs. D’autres sont des conflits entre états, comme la guerre entre la Russie et la Pologne ou la Turquie et la Grèce.
Des conflits mineurs ? Pas vraiment : cumulées, les pertes sont supérieures à celles qu’ont subi les armées française, anglaise et américaine sur l’ensemble de la Première guerre. Et encore est-ce sans compter les troubles qui commencent à opposer les populations de certains pays colonisés aux États européens : Inde, Égypte, Indochine, Algérie…
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[1] Le dernier soldat tué ce jour-là est un Américain, Henry Gunther, tué à 10h59 d’un tir de mitrailleuse. Le dernier poilu français, Augustin Trébuchon, est tombé à 10h45.
[2] Focsani, le 9 décembre 1917, entre l’Allemagne et la Roumanie ; Brest-Litovsck, le 15 décembre 1917, entre l’Allemagne et la Russie ; Salonique, le 29 septembre 1918, entre l’Empire ottoman et les Alliés ; et la Villa Giusti, entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie.
[3] R. Gerwarth, Les Vaincus, Seuil, 2017