Pour avoir du cachet, elle a du cachet. Reste que la vente de la maison de Landru, à Gambais, ne s’annonce pas comme une partie de plaisir pour l’agence chargée de l’opération. L’occasion de revenir sur l’une des affaires criminelles les plus marquantes des années 20, 96 ans après l’exécution du plus célèbre des tueurs en série français.
Un escroc de deuxième zone
Sur le papier, Henri-Désiré Landru renvoie au moment de son arrestation en 1919 l’image du parfait monsieur Tout-le-monde, à la vie bien rangée : famille modeste, éducation catholique classique, service militaire, marié, quatre enfants…
Et pourtant : né en 1869, il se lance très jeune dans une série d’escroqueries en tous genres, sous plusieurs identités. Plus ou moins minables d’ailleurs, elles ont ceci dit le mérite d’une certaine inventivité comme lorsqu’il lance une campagne nationale de petites annonces pour vanter les mérites d’une bicyclette à pétrole, qu’il promet de livrer contre une avance d’un tiers du prix total. Il n’y a évidemment aucun vélo à la clé, mais l’opération lui rapporte une jolie somme et Landru disparaît.
Après plusieurs séjours en prison, les choses se gâtent : récidive oblige, il risque rien de moins que le bagne de Cayenne lorsque la guerre éclate en 1914. Encore faut-il lui mettre la main dessus et là, coup de pot : en août, la guerre éclate et la France a soudain d’autres sujets de préoccupation que la chasse aux condamnés en fuite.
Chasseur de veuves
A 45 ans, Landru voit surtout dans le conflit une belle opportunité. Qui dit guerre dit veuves de guerre, surtout celle de 14, particulièrement meurtrière. Autant de femmes de Poilus qui, passé le temps du deuil, cherchent à refaire leur vie. Pour Landru, c’est une occasion rêvée. Il se crée un énième personnage : celui d’un brave homme, un veuf qui vit au calme dans ce fameux pavillon des Yvelines, à Gambais, aujourd’hui en vente.
Difficile d’imaginer Landru en grand séducteur : petit, chauve, la quarantaine bien entamée, il ne paye pas de mine. Et pourtant : il fait sérieux, gentil, rassurant… Surtout, on n’est pas encore au temps de Tinder ou d’Adopte un mec : la séduction à distance, en 1914, se fait par journaux interposés.
Landru écume les annonces matrimoniales dans tout le bassin parisien : l’enquête montrera que 283 femmes furent en contact avec lui, à des degrés divers. A ces femmes souvent désemparées, il fait miroiter l’idée d’un mariage paisible, gage d’une existence calme et d’une sécurité matérielle retrouvée dans un monde en guerre. C’est tout l’inverse : Landru use et abuse de son personnage pour tirer profit des femmes qu’il séduit, en détournant leurs biens à son profit, sous couvert d’investissements destinés à aménager un futur nid familial qui n’existe pas.
Femmes au foyer
Lorsque ses mensonges deviennent trop incohérents ou lorsque ses compagnes commencent à poser des questions trop précises, Landru passe du rôle d’escroc à celui de meurtrier. Sous prétexte d’un moment en amoureux, il fait venir ses amantes à Gambais et là, loin de tout, les assassine. Reste à se débarrasser des corps. Qu’à cela ne tienne : Landru les découpe en morceaux, qu’il brûle dans sa petite cuisinière.
Les premiers doutes comment à se faire jour la fin de la guerre : en enquêtant sur la disparition de plusieurs femmes, la police constate que beaucoup de pistes mènent à Gambais, où on perd la trace des disparues.
En 1919, la famille d’une femme disparue reconnaît Landru : la police l’arrête le jour de ses 50 ans.
Très vite, on l’accuse d’avoir séduit, escroqué, tué et incinéré une dizaine de femmes. Les charges sont accablantes, les indices et les preuves également – ce petit carnet noir, notamment, dans lequel les enquêteurs découvrent une liste de noms de femmes, dont celui des onze disparues. De petits détails aussi, comme ces billets de train Paris-Gambais – deux aller, un seul retour…
Procès phare
Reste qu’il s’agit de preuves indirectes. Pas de corps, des zones d’ombres… Le procès n’est pas si simple qu’on pourrait le croire.
Premier enjeu : peut-on vraiment faire disparaître des corps humains dans une la petite et si célèbre cuisinière de Landru ? Les enquêteurs prouvent que oui en recourant à la bonne vieille méthode empirique : ils brûlent quelques dizaines de kilos de viande de moutons dans un modèle identique. La défense – assurée par un grand pénaliste, Me Vincent de Moro-Giafferri – se fait un plaisir de remarquer que l’expérience prouve que c’est possible, pas que Landru l’a fait.
Mais le premier argument de la défense, c’est qu’il n’y a tout simplement pas de corps. Ou plutôt si : on déterre bien quelques os humains calcinés dans le jardin de la villa, dont 47 dents. Mais là encore, comment prouver qu’il s’agit des restes de CES femmes-là ?
A Versailles, le procès vire au grand spectacle. Des trains spéciaux mènent de Paris au tribunal, submergé par le nombre de curieux. Landru, lui, se bat avec acharnement et un certain humour qui en fait vite une vedette. Tout Paris reprend ses bons mots, dont celui-ci, quand le président s’agace du comportement bruyant de l’assistance
- Si les rires continuent, je vais demander à chacun de rentrer chez soi!
- Pour mon compte, monsieur le Président, ce n'est pas de refus !
Coup de théâtre et petit bagage
La tête de Landru se joue sur l’absence de corps. Dans une belle envolée, son avocat annonce un matin que les femmes disparues ne le sont pas, et qu’elles vont entrer dans la salle ! Évidemment, tout le monde se retourne d’un bloc. Personne ne rentre, mais l’avocat insiste : si tout le monde a eu ce réflexe, c’est que tout le monde pense qu’il est possible que les disparues soient en vie. Malheureusement pour la défense, l’accusation ne se laisse pas démonter. Du tac au tac, l’accusation réplique en observant qu’une seule personne n’a pas tourné la tête : Landru…
En dépit l’absence de preuves directes, les jurés n’ont guère de doutes. Landru est condamné à mort. Après avoir refusé un verre de rhum (« ce n’est pas bon pour la santé »), il est conduit près de l’échafaud. A l’ultime instant, son avocat lui demande : « Enfin, maintenant vous pouvez le dire : avez-vous tué ces femmes ? » Et Landru de répondre « ça, Maître, je pars avec. C’est mon petit bagage. »
Pour finir, un dernier détail : l’agence immobilière chargée de la vente de Gambais peut se consoler en disant qu’elle n’est pas la première à galérer pour vendre une maison aussi marquée par ce qui s’y est déroulé : la villa a changé de main plusieurs fois. Elle a même servi de restaurant pendant un temps.
Un restaurant qui avait un bien joli nom.
Le Grillon du Foyer.