Manson, meurtrier par emprise

Il est aussi indissociable des années 60 que Jack l’Éventreur l’est du Londres de la fin du 19e : la mort de Charles Manson est l’occasion de revenir sur le parcours étrange d’un tueur en série qui présente la particularité de n’avoir jamais tué lui-même, préférant s’appuyer sur sa tristement célèbre « famille » pour commettre ses crimes.

Délinquance, guitare et Beach Boys

Né en 1934 d’un père inconnu et d’une mère suffisamment alcoolique pour avoir tenté à plusieurs reprises d’échanger son fils contre de l’alcool avant de passer 5 ans en prison pour avoir braqué un débit de boisson, Charles M. Manson (né Maddox) est passé de main en main toute son enfance : tuteurs, orphelinats, maisons de redressement… Dès l’adolescence, le jeune garçon alterne actes de petite délinquance et accès de repentir religieux, avant de retomber : escroquerie, proxénétisme, drogues diverses et variées…

Condamné à plusieurs reprises,  Manson passe l’essentiel des années 60 en détention. Il en profite pour travailler la guitare avec suffisamment d’assiduité pour devenir bon – mais vraiment bon, au point que le système pénal lui conseiller de s’appuyer sur ce talent pour se réinsérer. Et ce n’est pas passé loin, d’ailleurs : à force de fréquenter le milieu des musiciens californiens, Manson croise les Beach Boys et les fréquente suffisamment longtemps pour que le groupe des frères Wilson pompe carrément une de ses chansons. Le morceau, « Never learn not to love », un temps classé, au Top 40 est une reprise pure et dure d’une chanson signée Manson, « Cease to exist » (« cesse d’exister ») dont les premiers vers sonnent étrangement, avec le recul : « Jolie fille, jolie fille, cesse d’exister / Viens seulement vers moi pour me dire que tu m’aimes / Abandonne ton monde ».

Naissance d’une Famille

Conscient du magnétisme que ce manipulateur né exerce sur son entourage, Manson se décide à fonder une communauté hippie en 1967 – l’année de ses 33 ans. C’est aussi à cette époque qu’il choisit de se faire appeler Charles Willis Manson – soit en le lisant d’une certaine manière « Charles’s will is Man’s Son » : « la volonté de Charles est celle du Fils de l’Homme », autrement dit du Christ.

Il cultive un look de prophète et s’entoure petit à petit d’un groupe essentiellement composé d’une soixantaine de jeunes femmes et de quelques hommes : la fameuse Famille, famille qui se prépare à appliquer le programme de Manson, sorte de fatras biblico-mystico-bizarre qui mélange la Bible et les textes des Beatles, de l’album blanc pour être précis.

Le tout tourné vers un seul but : provoquer la fin du monde, rien que ça, en déclenchant par une série de meurtres une guerre civile entre Noirs et Blancs dans l’idée de prendre le contrôle des vainqueurs. Le pire est que le programme n’est pas si délirant aux yeux de certains, vu l’esprit de l’époque : sur fond de  lutte pour les droits civiques, une partie des Américains sont persuadés que ce genre de guerre se produira, tôt ou tard.

L’été 69

En juillet 1969, Manson lance sa petite troupe à l’assaut, ciblant les propriétaires aisés du quartier chic de Beverly Hills : plusieurs membres de la Famille poignardent à mort Gary Hinman, un musicien. Avec son sang, un des assassins trace sur un mur le signe du symbole des Black Panthers, le mouvement de libération afro-américaine de Malcolm X. Manson s’en tient à son plan : tuer des Blancs et brouiller les pistes pour faire accuser des Noirs pour déclencher une guerre raciale.

Quelques jours plus tard, Manson annonce à sa Famille que « maintenant, c’est parti pour le toboggan » - une référence de plus aux Beatles et à leur chanson, Helter Skelter. Le 9 août 1969, Charles Watson, Patricia Krenwinkel et Susan Atkins s’introduisent dans une maison de Los Angeles - celle de l’actrice Sharon Tate, enceinte de 8 mois. Au premier homme qui lui demande ce qu’il fait là, Watson répond qu’il est un diable et qu’il est là pour faire le boulot d’un diable, avant de l’abattre à bout portant avant de lui briser la crosse son arme sur la tempe.

Ni Sharon Tate, ni ses amis présents ne survivent à la folie meurtrière des assaillants : quand le massacre s’arrête, on compte 5 morts et 102 coups de couteau.  Susan Atkins, celle qui a tué Sharon Tate, trace le mot PIGS, cochons, avec le sang de l’actrice sur la porte. Le terme est là encore choisi pour incriminer les Black Panthers , qui l’utilisent pour désigner les policiers. Le lendemain, le même petit groupe assassine un autre couple du voisinage, toujours sur commande de Manson, qui reste dans son ranch. Le bilan des attaques atteint huit morts.

Procès infernal

Les enquêteurs mettront le temps, mais ils finissent par arrêter la Famille entière. Au procès – longtemps resté comme le plus long et le plus cher de l’histoire américaine), l’atmosphère est  irrespirable, de l’avis de tous les témoins. Il y a quelque chose de profondément malsain dans la façon dont Manson tient ses troupes jusque dans la salle d’audience.

Les jeunes femmes, en particulier, frappent les esprits par le contraste entre leur jeunesse, leur allure presque fragile et la gravité de leurs actes. Elles  ne renient rien, n’expriment aucun regret et arrivent en chantant à la barre. Étranges débats, qui tournent autour d’un fait difficile à appréhender : Manson n’a jamais tué de ses propres mains. Ceux et celles qui ont tué pour lui ne l’ont pas fait pour l’argent - uniquement pour les mots qu’il a mis dans leurs têtes, uniquement en raison de cette emprise stupéfiante qu’il exerce sur la Famille. Un journaliste compare d’ailleurs ses membres à des golems, ces statues d’argile dépourvues de libre-arbitre dans la culture juive. Susan Atkins glace l’assistance en évoquant le meurtre de Sharon Tate : « [elle] n’était pour moi qu’un mannequin. Elle produisait des sons, juste comme une machine IBM (…). Elle n'arrêtait pas de supplier, de plaider et de plaider et de supplier, et je devenais malade de l'entendre, alors je l'ai poignardée. » Seize fois.

En mars 1971, Manson est condamné à la peine de mort, sentence commuée en prison à vie l’année suivante, profitant de la suspension (temporaire) des peines capitales décidée par la Cour Suprême pour les affaires jugées avant 1972.

Susan Atkins est morte en 2009. Charles Denton Watson et Patricia Dianne Krenwinkel, les deux autres membres du groupe sont toujours incarcérés.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu