Dunkerque, de l’histoire au film

Episode relativement méconnu en France, l’évacuation de Dunkerque en mai-juin 1940 est pourtant l’une des plus grandes opérations de ce genre dans l’histoire militaire. Révision générale avant de foncer voir (ou pas) le dernier Nolan.

Que s’est-il passé à Dunkerque ?

Le 10 mai 1940, le IIIe Reich d’Adolf Hitler déclenche une guerre-éclair après plusieurs mois de "drôle de guerre". En quelques semaines, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France sont envahis par les armées allemandes. Bousculées, neuf divisions britanniques, cinq divisions françaises et une partie de l’armée belge se trouvent encerclées dans la poche de Dunkerque – 400 000 hommes en tout. Le film de Nolan se concentre sur l’évacuation in extremis de 338 000 de ces soldats en moins de dix jours : l’opération Dynamo.

La première erreur d’Hitler ?

Autour du 20 mai, la situation est désespérée dans les Flandres et en Artois. Tout semble indiquer qu’un dernier coup de boutoir des troupes allemandes suffirait à détruire ou capturer l’essentiel des forces alliées quand un ordre tombe le 24 mai : « Haltbefehl ». Alors que les troupes allemandes ne sont plus qu’à 17 kilomètres de Dunkerque, Berlin ordonne à ses troupes de cesser leur progression.

On s’est beaucoup demandé pourquoi Hitler avait donné cet ordre. Une première théorie, largement abandonnée aujourd’hui, voulait qu’Hitler aurait souhaité faire un geste en direction des Anglais et les laisser évacuer, dans l’espoir de signer la paix avec eux. La seconde théorie, communément admise aujourd’hui, est qu’Hitler n’aurait fait que suivre l’avis d’une partie de ses généraux, qui souhaitaient repositionner leurs troupes avant de lancer l’assaut final. Deux jours plus tard, Hitler relance l’attaque mais les Alliés ont mis à profit ce répit inespéré pour créer une sorte de corridor entre Lille et Dunkerque, long d’une centaine de kilomètres et large de trente, et rassembler leurs forces.

Divergences de vue

Le hic, c’est que les états-majors n’ont pas la même lecture des événements. Alors que les Français envisagent la possibilité de lancer une contre-attaque pour se dégager par le Sud, les Anglais concluent rapidement qu’il n’y a plus d’autres options que de sauver ce qui peut l’être, en tentant d’évacuer autant d’hommes possibles par la Manche.

Sans prévenir leurs alliés belges et français, les armées anglaises se dirigent vers le port de Dunkerque, laissant aux troupes françaises le soin de fixer l’ennemi à Lille et abandonnant finalement les troupes belges à leur sort, en dépit des assurances de Churchill, avec pour conséquence la capitulation de la Belgique à l’aube du 28 mai. Difficile à vivre pour des soldats qui avaient tenu tête pendant cinq jours aux Allemands…

Décidée et organisée en quelques heures dans une salle du château de Douvres où traînait le vieux groupe électrogène qui lui donne son nom, l’Opération Dynamo ne concerne plus que les troupes anglaises et françaises, de plus en plus menacées par le feu allemand.

Une Dynamo sous haute tension

L’évacuation proprement dite s’étend sur neuf jours, du dimanche 26 mai à l’aube du mardi 4 juin. Au sol, les conditions sont de plus en plus difficiles à supporter pour des troupes inquiètes, démoralisées et exposées au feu allemand. Le ravitaillement fait vite défaut, la soif est rapidement intense et les longues files de soldats installées sur le seul embarcadère opérationnel offrent une cible idéale aux fameux Stukas, les bombardiers en piqué de la Luftwaffe, reconnaissables aux hurlements stridents de leurs sirènes. Des milliers d’hommes sont taillés en pièces sans aucun moyen de se défendre.

British_troops_retreat_dunkerque

Pour limiter le carnage, l’amirauté britannique emploie les grands moyens. Confrontées à un manque criant de bateaux malgré l’arrivée sur zone de 26 destroyers, les autorités anglaises commencent par réquisitionner tous les navires assez solides pour traverser la Manche : chalutiers, cargos, ferries, remorqueurs, caboteurs… Charge aux plus petits de récupérer les soldats sur les plages de Dunkerque pour les amener vers les navires plus imposants. Le plus modeste des 850 bateaux impliqués ne fait pas cinq mètres de long…

La Royal Air Force, de son côté, tente de nettoyer le ciel pour contrer les attaques de la Luftwaffe et lance plus de 4 800 sorties pendant l’opération. Pour éviter au maximum le feu allemand, les embarquements se font plutôt de nuit – on ne peut qu’imaginer l’angoisse des soldats invités à lancer avec tout leur barda dans une mer où ils restent parfois des heures, à demi-immergés. Seule bonne nouvelle : la Manche est calme et le ciel couvert empêche plusieurs fois les avions allemands de décoller.

Malgré tous ces efforts, 250 bateaux anglais – dont six destroyers – sont coulés en neuf jours par des bombes, des obus ou les mines installées par les Allemands dans une mer littéralement surchargée d’épaves, de corps noyés ou mitraillés. 68 000 soldats anglais sont tués sans avoir pu lever le petit doigt pour se défendre, ou presque.

Victoire ou défaite britannique ?

Au mieux, les officiers anglais espéraient sauver 45 000 hommes. En moins de dix jours et dans des conditions difficiles, 338 226 soldats (dont 123 095 Français) sont évacués vers Douvres ou Le Havre.

Tactiquement, Dunkerque reste pourtant bien une victoire allemande. Au matin du 4 juin, le Reich a fait 40 000 prisonniers, pour l’essentiel des Français qui auront protégé l’évacuation jusqu’au dernier moment sans pouvoir en profiter. Peut-être aussi important, l’Allemagne met la main sur 2 400 canons, 65 000 voitures, 20 000 motos, 150 000 tonnes de carburant… De quoi équiper huit à 10 divisions. Stratégiquement, c’est autre chose : l’Angleterre aurait sans doute eu bien du mal à poursuivre la guerre si elle avait perdu des dizaines de milliers d’hommes à Dunkerque. Mais surtout, un mythe est né.

Le « miracle de Dunkerque » est presque perçu comme une victoire par la population anglaise. Le pays s’attendait à un tel désastre que la réussite de l’opération Dynamo donne un coup de fouet au moral des Anglais. Le « Dunkirk spirit » devient un leitmotiv, une leçon de courage et d’obstination. Churchill va même devoir calmer son monde en rappelant dans un discours célèbre qu’on ne gagne pas une guerre avec des évacuations…

En France, entre gloire et rancœur

De l’autre côté de la Manche, l’épisode laisse un goût nettement plus amer. Pour les généraux français – et les hommes de troupe – les Anglais ont privilégié leurs propres hommes avant de s’intéresser aux Français, en s’appuyant largement sur leur résistance souvent héroïque pour s’échapper : dans certaines zones, les troupes françaises se sont retrouvées seules pour contenir la Wehrmacht, parfois à un contre 10. Le pire, c’est que, pour beaucoup de ces hommes, Dunkerque a seulement permis de reculer pour mieux sauter. La plupart sont repartis au combat jusqu’à la capitulation française, le 22 juin.

Si la mémoire de l’événement diffère tant, au point que la bataille de Dunkerque soit aujourd’hui largement inconnue des Français, c’est aussi parce que le régime de Vichy va se faire un plaisir d’exploiter les conditions de l’évacuation, martelant l’idée que la perfide Albion a sacrifié des Français pour sauver les siens. Que la réalité ait été bien plus complexe n’y change rien : pour un long moment, Dunkerque va laisser un arrière-goût amer dans la mémoire collective française.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu