Bath School, 1927 : la première attaque d’envergure contre un établissement scolaire

 L’enquête ne fait que commencer mais l’attaque d’un adolescent contre le lycée Tocqueville de Grasse évoque inévitablement de dramatiques précédents, de Littleton à Colombine – affaire qui semble avoir inspiré le jeune suspect. Et la tentative évoque immédiatement les États-Unis pour deux raisons : si ce type d’attaque reste exceptionnel en France, il s’est manifesté très tôt dans l’histoire américaine, marqué dès 1927 par un meurtre de masse au lourd bilan : le massacre de Bath Shool.

Un fermier si serviable

Difficile d’accuser les jeux vidéo, pour le coup : Andrew Kehoe, l’auteur du pire massacre en milieu scolaire de l’histoire américaine, n’avait pas franchement le profil des tueurs de Colombine, de Newtown ou d’ailleurs.

En 1927, l’homme a 55 ans. Ancien électricien, il s’est installé 7 ans plus tôt comme fermier dans le comté de Bath, en plein Michigan. La ferme qu’il exploite avec sa femme Nellie se situe à quelques miles du petit village de Bath (300 habitants) est typique des exploitations agricoles de la région. Bien intégré, Kehoe est vu comme un homme serviable, toujours prêt à donner un coup de main à ses voisins sans compter ni son temps ni sa peine – quoiqu’un peu colérique, peut-être. Le genre à tirer sur les chiens errants qui aboient devant sa maison, ou à s’agacer quand on ne tombe pas d’accord avec lui.

Kahoe_House

La ferme des Kahoe.

Mais rien de bien grave, au regard de son implication dans la petite communauté, à commencer par l’école primaire de Bath, dont il est trésorier et membre du conseil d’administration. L’occasion pour lui de scruter avec un certain pointillisme chaque dépense du petit établissement, qu’il juge trop généreux avec les deniers publics. C’est que ça le travaille, les impôts, Andrew Kehoe : il y en a trop, avec des coûts excessifs, d’après lui. Un coup à couler les honnêtes gens comme lui, toujours à s’affairer pour rembourser ses hypothèques.

Un homme très occupé

Pour faire valoir ses vues au conseil municipal, Kehoe cherche même à se faire élire clerk de la petite commune, en 1926 – quelque chose comme secrétaire de mairie. Un échec qui sonne comme un coup d’autant plus dur pour le fermier qu’il est endetté jusqu’au cou, ses finances plombées par une ou deux mauvaises récoltes et par la maladie de sa femme, touchée par la tuberculose. L’été 1926, Kehoe s’en convainc vite : la source de tous ces malheurs, c’est forcément cette école ruineuse qui absorbe touts les ressources du petit village, contraint d’augmenter sans cesse ses taxes.

Cet été là, Andrew Kehoe court beaucoup les routes à bord de sa vieille camionnette Ford. Il visite toutes les boutiques spécialisées de la région pour y acheter deux choses : de la dynamite et du pyrotol, un explosif militaire à but incendiaire. Personne ne s’en étonne pour deux raisons : les deux produits sont couramment utilisés par les fermiers de l’époque, pour briser des rochers, arracher les souches les plus massives ou excaver le sol – et Kehoe prend soin de de multiplier les petits achats.

Et comme l’école est déserte, pendant l’été 1926, personne n’est là pour s’étonner de voir Andrew Kehoe s’affairer dans les sous-sols, d’autant qu’il a été missionné par le conseil pour mener de menues réparations d’électricité dans l’établissement.

8h45, le 18 mai 1927

Le 17 mai 1927, Andrew Kehoe s’est probablement levé tôt – il a fort à faire. Tuer sa femme, pour commencer - après lui avoir proprement défoncé le crâne, il la dissimule un peu à l’écart de la maison. Et ce n’est pas tout, il faut encore boucler l’installation de toutes les bombes incendiaires planquées dans la maison, la grange et les écuries - Kehoe prend le temps de bien attacher ses chevaux dans leur box, au passage, pour qu’ils ne puissent pas s’échapper. L’homme cloue enfin un petit panneau sur une de ses clôtures – un dernier message au monde : « criminals are made, not born » (« les criminels ne naissent pas ainsi, on les fabrique »).

A 8h45 précise, Kehoe déclenche l’explosion de sa maison, qui part instantanément en flammes. Aux voisins accourus immédiatement, il lance « vous êtes mes amis, les gars. Vous devriez partir d’ici. Vous feriez mieux de filer vers l’école ». Avant de démarrer sa camionnette et de quitter la cour sur les chapeaux de roue. Les fermiers y trouveront une zone de guerre.

A l’instant exact où Kehoe faisait exploser sa ferme, les minuteurs posés près des 200 kilos d’explosifs stockés là déclenchent une immense explosion qui fait sauter toute l’aile nord en plein milieu de la première heure de cours. Le plancher entier se soulève, les murs et le toit s’effondrent. 38 personnes, des enfants de primaire pour la plupart, sont tués instantanément.

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L'école, quelques jours après l'explosion. 

Le bruit est tel qu’en trente minutes, tous les habitants du village se ruent vers l’école pour y trouver le spectacle qu’on imagine. Au milieu des parents affolés et de tous ceux qui tentent d’organiser un semblant de chaîne de secours se gare soudain la vieille Ford de Kehoe, qui interpelle le superintendant local, Huyck. Les deux hommes semblent lutter quelques secondes quand Kehoe tire soudain un coup de feu vers le bas. La Ford se désintègre instantanément, ravagée par l’explosion de la dynamite stockée aux pieds du meurtrier. Une volée de pièces et de boulons de métal placées à dessein dans le véhicule fusent, tuant Kehoe, le policier et deux autres personnes, dont un garçon de huit ans qui venait de survivre à la première explosion.

Triste record et longue série

Une partie des blessés ne survivront pas : en tout, le massacre du 27 mai tue 45 personnes, Kehoe compris. 38 d’entre elles sont des enfants de 6 à 12 ans. 90 ans après le drame, l’attaque de Bath School reste comme le troisième attentat le plus meurtrier commis sur le sol américain, (loin) derrière le 11-Septembre (2 996 morts) et Oklahoma City (168 victimes), en 1995.

Depuis, les tueries n’ont pas cessé de succéder dans le pays. Les attaques de Colombine, Virginia Tech ou Sandy Hook, ces quinze dernières années, ne sont que l’arbre qui masquent la forêt : rien qu'entre 2013 et 2015, le journal Newsweek avait ainsi recensé 142 fusillades.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu