Cérémonie d’investiture : Trump ne fera jamais mieux qu’Andrew Jackson

Ce vendredi 20 janvier, Donald Trump deviendra le 45e président des États-Unis, devant une foule qui devrait approcher le million de personnes. Si imprévisible que soit le futur locataire de la Maison Blanche, on peut pourtant avancer sans trop de risques que le jour de son de son investiture sera difficilement plus surréaliste que celui d’Andrew Jackson, son lointain prédécesseur.

Si le nom d’Andrew Jackson ne vous dit rien, ce n’est guère étonnant pour la simple raison que ses deux mandats commencent à dater : 7e président des États-Unis, l’homme dont le visage illustre le billet de 20 dollars traîne une réputation tenace de populiste et d’esclavagiste, partisan farouche de la déportation des Amérindiens vers l’ouest américain. Émacié, brutal et impénétrable, il reste surtout dans l’histoire américaine comme le président le plus chanceux de l’histoire : en 1835, l’homme qui tenta de l’assassiner vit ses DEUX revolvers s’enrayer avant que Jackson ne lui brise littéralement sa canne sur le crâne.

Et pourtant, Jackson parvint à littéralement ravager la Maison Blanche le jour de son arrivée. Mieux : il remit le couvert huit ans plus tard.

1829, les Saturnales de Washington

Le 4 mars 1829, Andrew Jackson prête serment à Washington, quelques semaines après l’une des campagnes les plus violentes de la jeune histoire américaine, tous camps confondus. Surtout et pour la première fois, l’enthousiasme des partisans de Jackson se transforme partout en une adhésion populaire particulièrement démonstrative, aussi bien chez les fermiers que chez les citadins

Jackson-Portrait

Le visage d'Andrew Jackson, ou l'incarnation même de la grosse, grosse teuf.

Le jour de son investiture, 10 à 20 000 Américains ont  fait spécialement le voyage – certains allant jusqu’à parcourir près de 7 ou 800 kilomètres, soit deux semaines de voyage au bas mot. La vue de cette foule stupéfie les ennemis de Jackson, qui agitent rapidement le spectre d’une « mob rule », qu’on pourrait traduire par « dictature de la populace ».

Pour protéger la tribune des mouvements de la foule, on a tendu en travers de la place un câble de marine. Mais alors que le nouveau président finit son discours, le câble cède sous la pression de la foule ; in extremis, Jackson est d’abord abrité dans le Capitole, pour son propre bien. Mais à 61 ans, le vieux militaire n’est pas du genre à fuir ses supporters : le voilà qui ressort … à cheval, avant de se lancer au cœur du public pour remonter jusqu’à la Maison Blanche, accompagné par une foule de supporters enthousiastes.

A la Maison Blanche, justement, c’est journées portes ouvertes – on a du mal à imaginer aujourd’hui que tout un chacun puisse entrer ainsi au cœur du pouvoir américain, mais c’est en gros le principe : non seulement la pelouse est accessible,  mais tout le bâtiment est ouvert aux citoyens sans distinction – c’est même une tradition. Si la bonne société reçoit des invitations en bonne et due forme, rien n’est prévu pour fermer les portes, ne serait-ce qu’au-delà d’une certaine jauge. Chacun peut venir dans l’espoir de serrer la louche du Président, ou tout au moins de siffler quelques verres à sa santé. Pour l’occasion, des tables et un cocktail ont évidemment été dressés – mais à l’intérieur, les mois de mars étant parfois frisquets à Washington. 10 à 20 000 visiteurs, joyeux et impatients à l’idée de croiser peut-être leur président, ne se privent pas de vider les bols de punch soigneusement prévus.

Évidemment, ça partit rapidement en cacahuète : tout ce beau monde, joyeusement saoul, commença à prendre ses aises, massacrant au passage quelques bricoles : vaisselles et bibelots de luxes, mobilier, peinture, moquettes, chandeliers, lustres, parquet… Le tout dans une atmosphère de plus en plus bruyante – un témoin fera même références aux Saturnales, une fête romaine débridée, caractérisée par un renversement des hiérarchies sociales. Un juge de la Cour suprême, lui, parlera de triomphe de la Déesse Populace (« King Mob »). Andrew Jackson lui-même se retrouva acculé à un mur par un groupe d’admirateurs, à deux doigts de l’étouffer pour lui témoigner leur enthousiasme. Il ne s’en sortira qu’en s’échappant in extremis par une fenêtre…

Le massacre ne cessa que lorsqu’un fonctionnaire eut la brillante idée de sortir d’immenses bols d’alcools et de crèmes glacées sur la pelouse, histoire d'empêcher les visiteurs de s’attaquer aux fondations. Si les historiens ont depuis revu à la baisse un bilan excessivement apocalyptique, il y en aura tout de même pour 50 000 dollars de travaux, somme colossale à l’époque.

Rebelote huit ans plus tard

"L'erreur est humaine, l'entêtement est diabolique". Soit Andrew Jackson ne connaissait pas le proverbe, soit il avait une idée derrière la tête mais le fait est qu’il commit exactement la même erreur au moment cette fois de quitter la Maison Blanche, huit ans après y être entré. En hommage au président sortant, le colonel Thomas Meecham, un newyorkais, eut la brillante idée d’offrir à Jackson un… fromage. Mais pas n’importe quel fromage. Une ROUE de fromage de 700 kilos… Et un fromage d’avant la pasteurisation, si vous voyez ce que je veux dire. Un Royal Cheese, en somme, qui fermentait patiemment depuis près d’un an dans l’attente du grand jour.

Que pensez-vous que fit Jackson… ? Gagné - il acheta carrément un encart publicitaire dans les journaux de Washington pour inviter tout le pays à venir l’aider à manger le fameux fromage. Résultat, plus de 10 000 personnes étaient présentes à l’arrivée d’une meule géante qui puait parait-il avec une remarquable intensité, meule qu’on installa bien évidemment au beau milieu du palais présidentiel.

Il fallut des semaines avant que son malheureux successeur, Martin Van Buren, finisse par se débarrasser de ces remugles à vous faire sauter l’émail des dents qui empestaient chaque tenture et chaque moquette de cette pauvre Maison Blanche.

Et maintenant rions un peu : imaginez ces deux épisodes à l'époque de Twitter.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu