C’est le principe même d’un régime totalitaire : de 1933 à 1945, le régime nazi s’est inséré dans chaque aspect de la vie quotidienne des Allemands. Et Noël, fête éminemment chrétienne et particulièrement appréciée au pays d’O Tannenbaum, n’y a pas coupé… Pendant 13 ans, le régime hitlérien s’est ingénié à vider Noël de son héritage chrétien pour en faire un outil au service de l’idéologie nazie. Anecdotique sans doute, l’opération a le mérite de montrer le fonctionnement de la propagande hitlérienne.
« Douce nuit, sainte nuit »… Célébrer un idéal de calme et paix le jour anniversaire de la naissance d’un nourrisson juif, fondateur d'une religion orientale et prêt à se laisser crucifier pour le salut de l’humanité toute entière… Noël avait peu de chances de séduire Hitler et les idéologues du régime nazi, soucieux de valoriser l’image d’une nation allemande, composée dans leur esprit de guerriers de pure « race » aryenne. D’où une opération d’appropriation de Noël où le sinistre le dispute à l’effrayant.
Retour du paganisme
Les mots comptent, leur étymologie aussi. Contrairement au terme anglais Christmas, la référence au Christ n’est pas directement présente dans le mot allemand qui désigne Noël (Weihnachten). Un détail sémantique qui n’a rien de négligeable, puis que c’est l’une des bases qui ont permis aux idéologues et aux propagandistes nazis de chercher à vider Noël de son caractère chrétien. « Nous ne pouvons accepter qu’un Noël allemand ait quoi que ce soit à voir avec un berceau posé dans une étable de Bethléem », écrit ainsi en 1937 le propagandiste Friedrich Rehm.
Progressivement, lui comme d’autres cherchent à « nettoyer » Noël de son caractère chrétien en invoquant les célébrations du solstice d’hiver et des racines païennes assez anciennes pour bénéficier d’une puissance d’évocation de taille à rivaliser avec la fête chrétienne. A la clef, l’idée que cette dernière – et avec elle les valeurs de douceur et de paix qu'elle porte – ne serait en somme qu’un placage artificiel sur un « vrai » Noël allemand, venu du fond des âges et porteur de valeurs autrement plus dures – c’est le sens du mot Rauhnacht (nuit brutale), l’un des termes évoqués dans les articles publiés à l’époque par des idéologues nazis. Les SS, eux, célèbrent Yule, autre fête païenne liée au solstice, au cours d’un rituel vaguement ésotérique défini par Heinrich Himmler lui-même et centré sur la lumière.
Petit à petit, toute référence au Christ, à Joseph ou à d’autres noms juifs disparaît des chants de Noël, au même titre que certains mots hébreux (hosanna, alléluia, amen…) ou certains noms de lieux bibliques comme Jérusalem ou Sion. Mieux : des couplets entiers deviennent des odes au régime, comme dans la version nazie du célèbre Stille Nacht (Douce nuit en français), dont le premier verset célèbre soudain… le chancelier Hitler, présenté comme le vrai Sauveur, le seul à monter la garde au cœur de la douce et calme nuit. Et ce ne sont pas d’obscurs plumitifs qui se penchent ainsi sur cette réécriture mais bien des figures de premier plan comme Alfred Rosenberg, l’un des principaux théoriciens du nazisme.
Quand au père Noël, directement associé à Saint Nicolas dans l’esprit de bien des Allemands, s’il est trop aimé des familles et des enfants allemands pour être attaqué aussi frontalement , la propagande fait cet homme âgé en robe blanche (le rouge typique du Santa Claus américain n’est pas encore généralisé) une représentation du dieu nordique Odin, que le christianisme aurait en somme volé et que le régime nazi "rend" au peuple allemand.
Des svastikas sur le sapin
Loin de ces théories, l’aspect le plus frappant de l’appropriation nazie se voit dans les décorations et les symboles associés à Noël dans les foyers, à commencer par l’étoile qui surmonte la pointe de tout sapin qui se respecte.
Un vrai problème, cette étoile : avec 6 branches, elle évoque l’étoile de David – inimaginable pour un régime qui envoie 6 millions de Juifs à la mort. Avec 5 branches, elle est le symbole de la Russie soviétique – évidemment hors de question… Heureusement, le régime nazi a un symbole de remplacement tout trouvé : la croix gammée (Hakenkreuz), qui se retrouve bien en évidence sur la plus haute banche de quantité de sapins, et globalement sur tout ce qui sert à décorer le salon le matin de Noël. Solution de secours pour les plus convaincus : la double Siegrune en forme d’éclair stylisé portée par les SS - oui, le signe est une rune germano-scandinave et pas la lettre S...
Petit à petit et avec l’aide des services de propagande, les décorations s’enrichissent et donnent rapidement un tour tout à fait guerrier au bon vieux sapin : grenades et armes à feu sont d’autant moins rares au bout des branches que le parti nazi se fait un plaisir de les offrir gratuitement aux enfants et à leurs parents. Idem pour le calendrier de l’Avent, dont chaque case devient un prétexte à valoriser l’action du Führer ou les combats héroïques des soldats allemands.
Et voilà comment des boules décorées du slogan nazi Sieg Heil (« salut à la victoire ») se mettent à pendouiller aux branches de l’arbre de Noël familial, à côté de petites décorations métalliques à l’effigie… d’Hitler. Ridicule au point que le Führer lui-même finira par interdire les décorations les plus grotesques.
Ceci dit, les Nazis en avaient encore sous le pied. Lorsque la guerre prit un tour définitivement dramatique pour le régime nazi, la propagande voulut faire de Noël un temps de célébration des combattants tombés au front. L’édition 1944 du calendrier de l’Avent, la fenêtre du réveillon s’ouvrait sur un « poème aux soldats morts » dans lequel une phrase explique clairement qu’une fois par an, les soldats tombés sortent de leurs tombes pour rendre visite aux vivants dans leurs familles. Bonne nuit les enfants !