De l’origine historique d’une drôle de demande de Jacques Bompard

Il est un peu passé inaperçu et c’est dommage : lors de l’examen par l’Assemblée nationale d’un texte consacré à la captivante question des funérailles nationales, le député-maire d’Orange Jacques Bompard s’est illustré par un amendement qui demandait à la République de « demander pardon aux rois de France et aux Français ». Pourquoi ? « Pour le saccage de leurs sépultures lors de la profanation des tombes de l’abbaye de Saint-Denis en 1793 et 1794 ». Un texte saugrenu qui au moins le mérite de justifier un retour sur l’épisode évoqué par le député.

Eté meurtrier

Eté 1793 : depuis quelques mois, la France n’est officiellement plus une monarchie, un point sur lequel elle a su insister fermement en exécutant Louis XVI, au mois de janvier.

Et la situation est – comment dire ? Tendue.  Sur le plan extérieur, la patrie n’en finit plus d’être en danger. Les déclarations de guerre se multiplient : Angleterre, Hollande, Espagne… En danger sur toutes ses frontières, la France a lancé la levée en masse en février et 300 000 hommes sont venus grossir les rangs des armées de la Révolution.

Sur le plan intérieur, c’est ce qu’on appelle dans le jargon des historiens une solide cacadouille : la Convention, élue l’année précédente, est déchirée par l’affrontement entre Montagnards et Girondins. La Vendée royaliste se soulève. Les têtes roulent à un rythme croissant, surtout depuis la création en avril du célèbre Comité de Salut Public. On juge et on exécute avec une célérité impressionnante : le 13 juillet, Marat est assassiné ; le 17, sa meurtrière Charlotte Corday est guillotinée. Bref, l’été est bouillant et meurtrier, et la Terreur s’installe.

J’irai m'approvisionner sur vos tombes

Dans ce climat légèrement crispé et estimant probablement qu’il n’avait rien de plus urgent à faire, le Comité de Salut Public se penche au début du mois d’août sur la question de la nécropole de Saint-Denis.

La plupart des souverains de l’histoire de France y sont inhumés  dans des tombeaux qui vont du modeste au grandiose, au cœur de la basilique. Soit la bagatelle de 68 rois et reines, 81 princes et princesses et une bonne quinzaine de grands serviteurs du royaume enterrés dans la nef ou la crypte de la basilique. Un lieu grandiose qui défrise un peu la Convention, bien décidée à abattre l’un des symboles de l’Ancien Régime, et pas n’importe lequel pour la jeune République : quoi de plus spectaculaire que cette nécropole où toute la monarchie française s’est donnée rendez-vous, toutes dynasties confondues ?

Aussitôt dit, aussitôt fait : dans un rapport qu’accepte la Convention, le Comité demande que « la main puissante de la République efface impitoyablement ces épitaphes superbes qui rappellent encore des rois l’effrayant souvenir ». Le décret tombe : « les tombeaux des ci-devant rois seront détruits le 10 août ».

Pour être exact, on n’avait pas attendu un texte de loi pour s’en prendre aux tombeaux. Dès l’année précédente, la plupart des éléments métalliques de surface (ferronneries, décorations…) avaient été arrachées pour en faire des balles. Le projet de l’été 93 va plus loin : le but officiel est de récupérer le plomb des cercueils pour en faire des munitions. Donc d'en sortir leurs occupants.

Le 6 août, les premiers coups de masse tombent.  Les statues, les gisants, les vitraux, les bustes sont démantelés ou dans le meilleur des cas démontés. Toutes les tombes sont vidées de façon systématique pour récupérer les bijoux et les richesses enterrées avec leurs propriétaires.

Au cours de l’été, 51 tombeaux sont ainsi démolis, mais c’est au mois d’octobre que ça va vraiment partir en quenouille. Oh, officiellement, tout est censé se passer le plus administrativement du monde sous le contrôle d’un responsable – un homme d’église en l’occurrence, le bénédictin Dom Poirier. On a même prévu de quoi éviter les mauvaises odeurs en faisant livrer des tonneaux de vinaigre à foison et des monceaux de plantes odorantes, et en faisant brûler de la poudre.

Mais voilà : la nouvelle s’est répandue et les curieux affluent pour regarder l’avancement des travaux. Des curieux bien énervés, pour certains.

Les profanateurs de sépulture

Le 12 octobre à 8 heures du matin, c’est devant une foule considérable qu’on commence à ouvrir les tombes proprement dites. On commence par celle de Turenne, avant de passer à celle d’Henri IV. Et là, surprise ; le roi a été si bien embaumé qu’on le reconnaît parfaitement et qu’on profite même de l’occasion pour mouler son visage. Un ahuri n’a alors pas de meilleure idée que de… l’exposer. On place le premier des Bourbons debout, tout raide, appuyé contre des colonnes du chœur.

Ce qui suit est tiré des témoignages d’époque, a priori fiables, et notamment des rapports de Dom Poirier  et du responsable des archives de l'abbaye de Saint-Denis, Dom Druon.

[Message de service : avis aux plus sensibles, certains des passages qui suivent sont un peu crades]

D’abord timides, les badauds s’enhardissent. L’un d’entre eux, un peu plus exalté que les autres, finit par tirer sur la célèbre moustache du Vert Galant, qui n’était plus tellement galant mais très très vert. Elle vient d’un coup « avec toute la lèvre » : l’homme amuse la foule en s’en faisant une fausse barbe. Dans la ruée qui suit, sa tête est séparée du corps et sera longtemps perdue avant d’être retrouvée

Le 14 octobre, on ouvre la tombe de Louis XIII, dont le cadavre est également reconnaissable. Celui de Louis XIV, « noir comme de l’encre », est jeté dans l’une des deux fosses communes aménagées à côté. Un ivrogne y saute pour l’éventrer. Le 16 octobre à 11 heures, très exactement où Marie-Antoinette meurt sur l’échafaud, c’est au tour de Louis XV d’être sorti de son cercueil de plomb – une horreur : le roi, mort de la variole, n’a pas été embaumé et était, je cite en vous souhaitant un excellent appétit, « dans un état de putréfaction liquide ». On dut brûler bien des livres de poudre pour dissiper l’odeur abominable de l’homme qui avait serré dans ses bras la Pompadour.

La suite n’a rien de glorieux. Chauffée à blanc, vite enhardie, la foule s'aventure sur les tombes, soudoie les administrateurs, achète les ouvriers pour tenter d’obtenir leur petite relique. Personnelle, qui une mèche de cheveux, qui un doigt, qui une dent. Tout se vole et tout se revend : un trafic de reliques royales se met en place, avec la complicité au moins passive des commissaires chargés de diriger l’opération – dont certains sont les premiers à se servir. Le receveur des domaines de Saint-Denis repart les poches pleines : la mâchoire de Dagobert, des dents d’Henri III, d’une jambe de Catherine de Médicis et de deux ou trois autres bricoles.

Perdues à jamais pour la plupart - à la notable exception de la tête d’Henri IV qu’un brocanteur aurait priori retrouvé en 1913, en achetant un crâne lors d’une vente chez Drouot (trois francs). Lui ne put jamais prouver son hypothèse mais le médecin légiste Philippe Charlier estime l’avoir authentifiée en 2012, même si d’autres scientifiques contestent le résultat de leurs travaux.

Au-delà des détails sordides, il faut s’imaginer le tableau autour du lieu. Le métal récupéré sur les tombes est fondu sur place, devant l’actuel portail nord : les fumées de la fonderie, la crypte ouverte, les corps extraits à toutes les heures du jour et de la nuit, des passants qui regardent, s’interpellent et se battent parfois pour un os ou un bout de suaire.

Et depuis ?

A la fin de l’année, ce sont les dépouilles de 43 rois, 32 reines et 63 princes de sang qui avaient ainsi été profanées, sans compter celles d’une dizaine de hauts serviteurs de l’Etat et d’une vingtaine d’abbés de Saint Denis.

En quelques mois, la France avait exécuté le couple royal et envoyé leurs prédécesseurs à la fosse commune.

Il faut attendre le règne de Louis XVIII pour l’épisode suivant. Le 21 janvier 1817 – le jour anniversaire de la mort de Louis XVI – on excave les fosses. Les quelques fragments retrouvés sont réunis dans une dizaine de coffres et replacés dans la crypte de la basilique, où on les voit toujours aujourd’hui. Deux ans avant, Louis XVIII avait déjà fait ramener à Saint-Denis les corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette, jusque-là enterrés au cimetière de la Madeleine, à l’occasion d’une cérémonie grandiose.

 

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu