Alors que les électeurs américains s’apprêter à désigner le (ou la) 45e présidente des Etats-Unis, chaque candidat pilonne une dernière fois son adversaire. Côté républicain, l’une des attaques les plus récurrentes consiste à présenter Hillary Clinton comme la représentante des élites, Trump se présentant a contrario comme le défenseur des classes populaires. Une accusation souvent mortelle qui remonte au moins à 1840.
Le coup du boomerang
La campagne présidentielle de 1840 commence sur fond de difficultés économiques persistantes après une suite de faillites bancaires en 1837. Le président démocrate sortant, Martin Van Buren, est directement attaqué par son principal opposant de la droite libérale, le (défunt) parti whig qui le surnomme « Van Ruin » à longueur de journaux et désigne pour l’affronter un ancien militaire de 68 ans, William Henry Harrison, héros de la guerre anglo-américaine de 1812*.
Le camp démocrate fit alors le choix d’attaquer l’ancien général sur son âge, le présentant comme un vieillard, un homme fini tout juste bon à « toucher sa pension et un baril de cidre avant d’aller s’asseoir jusqu’à la fin ses jours dans sa cabane en rondins », pour citer un journal démocrate (« Give him a barrel of hard cider, and a pension of two thousand dollars a year and he will sit the remainder of his days in his log cabin »).
Son équipe de campagne décide alors de retourner l’argument et fait tout pour peindre Harrison comme un self made man et le candidat des gens simples, bien loin des élites de Washington – un comble pour ce descendant d’une riche famille de marchands d’esclaves de Virginie, dont la belle maison de maître n’avait rien d’une masure, au milieu de la grande plantation dont il avait hérité.
La première campagne de l’ère moderne ?
Harrison récupère pourtant l’image de la cabane et du cidre en rondins, dont il fait le symbole d’une vie méritante, honnête et droite, loin des machineries de politiciens professionnels comme Van Buren, décrit comme un membre richissime de l’élite déconnectée – très exactement les thèmes que travaille aujourd’hui Trump, sans y voir de paradoxe avec sa propre fortune. Partout, Harrison est dépeint comme le « common man » et l’ami du peuple, en opposition à Van Buren, le candidat des élites aristocratiques de la capitale.
Si la campagne du candidat whig est souvent présentée comme la première de l’ère moderne en Amérique du Nord, c’est aussi parce que le parti whig utilise pour la première fois une série d’outils de marketing politique restés incontournables : campagne de presse, publicité massive dans les médias, affiches, événements, objets promotionnels… La cabane de rondin et le cidre aux couleurs du candidat sont déclinés sur des dizaines d’objets de la vie courante et offerts aux électeurs : assiette, flasques, bouteille et petits tonneaux de cidre, rubans comme ci-dessous…
Van Buren est évidemment caricaturé dans les médias whigs comme l’inverse de Harrison, un homme qui passe son temps à boire du champagne en se prélassant dans sa baignoire – toute une affaire, cette baignoire : les pro-whigs s’en amusèrent des semaines quand la nouvelle se répandit que Van Buren s’était payé le luxe d’en faire installer une à la Maison Blanche.
Caricature de Van Buren, montré souriant avec du champagne et grimaçant avec du cidre.
L’impact fut tel que certains pans de la culture américaine portent encore la marque de cette campagne. Ainsi, l’une de ces bouteilles en forme de cabane était fabriquée par un certain E.C Booz, dont découle le mot booze (« gnôle) », toujours utilisé aujourd’hui. L’expression courante keep the ball rolling (« maintiens l’élan, va de l’avant ») date de cette même campagne : des partisans de Harrison avaient fabriqué une énorme de boule faite de papiers et d’étain, couverte de slogans à la gloire de leurs candidats, et la faisaient rouler dans tout le pays pour annoncer les meetings tenus en sa faveur.
Bref, un grand cirque capable d’oublier un détail : Harrison n’avait pas l’ombre d’un programme politique digne de ce nom, seulement de bons slogans. Une leçon parfaitement retenue par certains de ses successeurs.
Tout ça pour ça
Aussi ridicule que puisse paraître aujourd’hui le fait d’attaquer quelqu’un sur son goût pour les bains tièdes, la campagne de Harrison fut un succès absolu : 78% des grands électeurs votèrent pour lui – tout ça pour un mandat long… d’un mois.
Tombé malade le 26 mars, trois semaines après son investiture, Harrison ne s’accorda pas le temps nécessaire pour récupérer. Son rhume dégénéra en pneumonie, puis en septicémie et l’ancien général s’éteignit le 4 avril, 30 jours, 12 heures et 30 minutes après son arrivée à la Maison Blanche.
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* Eh oui, la guerre d’indépendance n’est pas la seule qui opposa les Etats-Unis et l’Angleterre…