C’est la rentrée : Éric Zemmour veut vendre des livres. Et pour vendre, quoi de mieux que de surfer sur les haines du temps en se saisissant d’un sujet qui n’en est pas un pour faire monter la mayonnaise en tapant à nouveau sur sa cible préférée, les musulmans de France. L’enjeu ? Après leur nourriture et leurs vêtements, voilà qu’il s’intéresse à leurs prénoms. Et raconte une nouvelle fois n’importe quoi.
Premier épisode le 6 septembre : sur France 5, Eric Zemmour affirme dans l’émission « C à vous » que "donner un prénom qui n'est pas un prénom français à ses enfants, c'est ne pas se détacher de l'islam. C'est vouloir continuer l'identité islamique en France ». Rien que ça.
Ravi de s’être taillé son petit succès, il fait rebelote sur LCI le 12 septembre – mais cette fois-ci Éric Zemmour, qui a eu le temps de potasser son sujet avec plus d’attention qu’il n’en consacre à la relecture de ses propres livres, s’appuie sur toute la rigueur de la loi, et pas n’importe laquelle : une loi de la grande époque napoléonienne s’il vous plaît :
"Un prénom français, c'est un prénom chrétien, cela vient d'une loi établie par Bonaparte » et abrogée (déplore-t-il) en 1993.
Le problème, c’est qu’Éric Zemmour s’arrange joyeusement avec la réalité d’un document historique, pariant sur le fait que les journalistes en face n’ont évidemment pas le temps ni les moyens de vérifier ses affirmations en direct. La loi qu'il évoque est pourtant un tantinet différente.
La « loi de Bonaparte » ne mentionne strictement aucun « prénom chrétien »
La fameuse loi qu’évoque Zemmour existe bel et bien. C’est la loi n°2614 du 11 Germinal an XI, ou plus simplement du 1er avril 1803, « relative aux prénoms et aux changements de noms ». Elle a effectivement été abolie en 1993 mais voici ce que disait son titre premier, article 1 :
« A compter de la publication de la présente loi, les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l'état civil destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiels publics d'en admettre aucun autre dans leurs actes »
N’en déplaise à Éric Zemmour, il n’y a donc pas l’ombre d’une quelconque référence aux « prénoms chrétiens ». Ils y sont bien entendus compris : ce sont ceux de l’éphéméride catholique . Mais la loi parle bien DES calendriers et pour cause : le calendrier en vigueur N’EST PAS catholique ; c’est le calendrier révolutionnaire et ses prénoms savoureux : Philogon, Tydrique ou Télesphore pour les garçons ; Rusicule, Vénéfride ou Egobille pour les filles. Moderne, tellement moderne et si français.
Mieux : l’autorisation d’avoir recours aux « personnages connus de l’histoire ancienne » autorise de fait l’usage des prénoms de l’Antiquité grecque, romaine ou ... persane : on doute que Sadi Carnot, dont le prénom vient d’un poète iranien, ait ainsi pu devenir président de la République en 1887avec un prénom illégal…
En revanche, Bonaparte n’aimait pas trop les prénoms juifs
Quitte à appeler Napoléon au secours de ses idées, il est bien étrange qu’Eric Zemmour n’ait pas fait allusion à une autre loi de Napoléon, en l’occurrence directement dirigée contre une autre religion que la religion musulmane : la foi juive.
Revenant sur le travail accompli par la Révolution, Napoléon revient à partir de 1807 sur les droits accordés aux citoyens de confession juive, accusés de maux qui évoquent de façon frappante ceux qu’on associe aujourd’hui aux Français musulmans. Les Juifs sont ainsi obligés de répondre à un questionnaire qui rappelle largement celui qu’un autre grand esprit, Nicolas Dupont-Aignan, voudrait imposer aux imams français : considèrent-ils la France comme leur patrie, sont-ils polygames, sont-ils prêts à se battre pour le pays, etc. Les Juifs, eux, ne cessent de réclamer qu’on revienne au seul respect du Code civil, qui ne prévoit aucune obligation particulière.
Napoléon ignore cette demande ; le 17 mars 1808, une loi vient durcir considérablement le statut des Juifs, dont la vie privée ou professionnelle devient soumise à une série d’autorisations. Le 20 juillet, deuxième lame : un décret impérial prévoit que dans les trois mois, tous les Juifs de France sont tenus de changer de prénom et de nom de famille. L’article 3 est limpide : « ne seront point admis comme nom de famille aucun nom tiré de l’Ancien Testament (…) Pourront être pris comme prénoms ceux autorisés par la loi du 11 Germinal an XI » - celle qu’évoquait donc Éric Zemmour comme un modèle à suivre.
Le résultat ? Même s’il est difficile d’évaluer la concrétisation de ces mesures, les préfets se penchent bel et bien sur la question et un peu partout, des officiers civils « francisent » les noms des citoyens juifs, parfois avec une imagination débordante : Jacob devient Julien, Isaac Low-Lowi devient Jacques Lion et Wolff-Lazard devient…. Daniel-Alexandre Pompet.
L’antisémitisme d’état et l’assimilation forcée voulue par une monarchie militaire, est-ce bien là l’idéal de société que porte Éric Zemmour ?