Sa carrière est finie, reste à connaître la peine que lui infligera le tribunal correctionnel de Paris : l’affaire Michel Neyret connaîtra bientôt son dénouement. S’il était condamné, l’ancien n°2 de la police lyonnaise pourra toujours se consoler en pensant qu’avant lui, d’autres ont franchi la ligne rouge en continuant d'accélérer. A commencer par les trois qui suivent.
Big Tom Brown, éminent spécialiste du kidnapping
En matière d’innovation, la pègre a toujours su faire preuve d’un sens aigu de l’innovation. Les années 30 n’échappent pas à la règle, surtout aux États-Unis. Si le trafic d’alcool a encore le vent en poupe - Prohibition oblige - la décennie est marquée par une autre tendance : le kidnapping*.
Un peu partout dans le pays, les forces de l’ordre créent les premiers groupes de policiers spécialisés dans ce type d’affaires. C’est même précisément le boulot dont s’occupe Tom Brown, le chef de la police de Saint-Paul, Minnesota. Surnommé avec un certain sens de l’à-propos Big Tom par la presse (il fait deux mètres de haut et affiche un bon 140 kilos sur la balance), l’homme fait figure de bon samaritain pour ses riches concitoyens. Et de héros local depuis qu’il a personnellement abattu un meurtrier en fuite.
Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes bien gardés si Big Tom n’était pas corrompu jusqu’à la moelle, comme à peu près toute la police de Saint-Paul d’ailleurs. Et surtout l’associé privilégié d’une bande de kidnappeurs locaux, le Barker Gang. Évidemment, c’est assez pratique pour ne pas serrer les suspects de trop près.
C’est exactement ce qui se passe en juin 1933, après l’enlèvement d’un certain William Hamm, héritier d’une richissime famille de brasseurs. Les criminels réclament deux choses pour ne pas assassiner le malheureux : 100 000 dollars et la discrétion la plus totale. La mère de Hamm ignore ces instructions et se rend tout droit… chez Big Tom. Lequel est très bien placé pour savoir ce qu’a réclamé le Barker Gang : c’est lui qui leur a transmis de quoi préparer le coup. Big Tom finit par convaincre la mère de verser la rançon, dont le quart terminera dans sa propre poche. De quoi récompenser son rôle d’intermédiaire et une enquête artistiquement sabotée.
Trois ans plus tard, rebelote : la cible du gang est cette fois Edward Bremmer, fils d’un riche banquier. L’affaire se terminera mal pour le gang, dont la plupart des membres seront abattus ou capturés par le FBI. Un seul s’en tirera : Big Tom. Oh, le FBI sait parfaitement à quoi s’en tenir à son sujet, mais manque de preuves… Et de témoins : depuis que Big Tom a descendu en pleine rue un ancien complice à la mitraillette sous prétexte d’arrestation délicate, les truands ont tendance à tenir leur langue.
Viré de la police, Big Tom finira par ouvrir un magasin d’alcool à la fin de la Prohibition. Comme on ne se refait, pas il truandera les impôts. Condamné à un an ferme, il ne fera pas un jour de prison et mourra de sa belle mort en 1959.
Andre Stander : qui vole une banque vole un yacht
Sorti major de l’école de police de Pretoria en 1963, fils d’un haut responsable du ministère de la justice sud-africain, capitaine à l’âge record de 31 ans, patron de son propre département… N’en jetez plus. Reconnu pour ses capacités d’enquêteur, Andre Stander n’avait a priori pas grand-chose d’un criminel. Et pourtant quitte à s’y mettre, il n’a pas fait semblant.
En 1977, 14 ans après avoir rejoint le Criminal Investigation Department de Johannesburg, Andre Stander profite d’un jour de congé pour attraper un vol matinal à destination de Durban. Il y loue une voiture, modifie grossièrement son apparence et… braque une banque, flingue en main, avec le plus grand calme. Il retourne ensuite tout ce qu’il y a de tranquillement vers l’aéroport, rend sa voiture et rentre le soir-même à Johannesburg.
Andre va devenir vraiment bon à ce petit jeu, à force de s'entraîner. Il apprend à voler des voitures plutôt que de les louer. Mieux, son don du déguisement touche au grand art - de quoi le rendre assez audacieux pour braquer des banques dans sa propre ville, entre midi et deux et à deux pas de son commissariat... Gag fabuleux : il lui arrivera d’enquêter l’après-midi même sur ses propres attaques. Pas un seul des témoins qui l’avaient eu sous les yeux deux heures plus tôt ne le reconnaîtra…
Arrêté après avoir commis l’erreur de vouloir mettre un collègue policier dans la combine, Stander finit par tomber après trois ans. Verdict : 75 ans de tôle. Histoire terminée ? Pas vraiment : il en purge trois avant de s’évader au cours d’une séance de... physiothérapie. Avec ces tous nouveaux complices, Stander se lance dans un vaste rodéo international, allant parfois jusqu’à braquer quatre banques par jour en Espagne, en Grèce puis à nouveau en Afrique du Sud, ou il vole… un yacht, le Lily Rose, qu’il se débrouille pour faire arriver aux États-Unis.
C’est là, à Fort Lauderdale, qu’il est finalement rattrapé par la police alors qu’il tente de vendre le bateau sous la fausse identité de Peter Harris. L’opération tourne mal : alors qu’il se dirige vers son appartement, Stander repère les officiers et cherche à fuir. Sur le parking, il se retrouve à lutter au corps à corps avec un policier à qui il tente d’arracher son fusil. Le coup part à bout portant et Stander s’effondre, touché au ventre. Malgré l’arrivée rapide des secours, ses blessures sont trop graves et il meurt dans l’ambulance – fin de cavale…
Pascal Jumel, flic et braqueur
Dans son autobiographie*, Pascal Jumel affirme qu’enfant, il n’a jamais volé le moindre Carambar. Vu la suite, il aurait peut-être dû, allez savoir. Ex-gardien de la paix, Jumel intègre le commissariat du 12e arrondissement de Paris en 1980 comme enquêteur. Il s’y penche entre autres sur les affaires de chèques sans provision. La routine des jeunes enquêteurs en somme, mais déjà quelques écarts. Un peu de gratte, des petits cadeaux, des arrangements avec des indics… Un surtout : Patrick Namouchi, surnommé « La Mouche », un petit casseur qui monte.
En 1982, Jumel rejoint le Quai des Orfèvres et plus précisément le groupe nuit de la brigade de répression du banditisme (BRB). Les tentations s’y font plus fortes et les limites sont de plus en plus souvent franchies, à une autre échelle que dans le 12e. A force de protéger son indic’ pour obtenir d’indéniables résultats, Lumel franchit la ligne. Il commence à convoyer des marchandises volées, s’octroie une partie des butins….Et finit par braquer une bijouterie de Neuilly.
Rapidement, un véritable gang se forme en plein 36 ; autour de Lumel, d’autres policiers de la BRB, de la Mondaine, des gardiens de la paix… Les braquages s’ajoutent aux braquages, une dizaine entre décembre 1982 et juillet 1985. Les cibles sont parfois des criminels ou des trafiquants, mais aussi des touristes, une agence bancaire, des bijoutiers, un centre Leclerc… En tout, une moisson estimée à 3 millions de francs sous forme de matériel hifi, de bijoux, de vêtements et de liquide. Le tout est revendu sous le manteau, sans que l’on sache trop à qui. Jumel claque sa part dans ses loisirs : bateau, plongée…
Et puis en 1985, « la Mouche » est interpellé après le braquage d'une bijouterie, boulevard Raspail. Face aux enquêteurs, il craque et donne le nom de ses complices, dont Pascal Jumel. A 29 ans, le policier rejoint la prison de Fresnes. Condamné à 17 ans de réclusion, il sortira en conditionnelle en mars 1997, après dix ans en tôle. Trois de plus que dans la police.
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* Comme celui du bébé de l’aviateur Charles Lindbergh, retrouvé mort quelques mois après son enlèvement en 1932.
**P. Jumel, Le cercle noir, Stock, 1998