Trois réformes de la Constitution qui avaient déjà fait long feu

Décision nécessaire, reculade ou échec, à chacun de juger. Toujours est-il que quatre mois après son annonce par François Hollande, la révision de la Constitution est oubliée : le Président ne convoquera pas le Congrès à Versailles - un coup pour rien pour une réforme de la constitution enterrée jusqu'à nouvel ordre. En cas de vague-à-l'âme, le Président pourra toujours se consoler en se rappelant ces quelques précédents, tirés d’une longue liste de réformes inabouties.

Avril 69 : chant du départ pour le Général

A 78 ans, après avoir politiquement survécu aux manifestations de Mai 68 et aux « dix ans ça suffit ! » qui le visaient directement, le général de Gaulle tente de reprendre la main, de montrer qu’il sait évoluer. Il annonce une modification de la Constitution de la Ve République, destinée à moderniser le pays et ses institutions.

L’idée est double. Et d’une, réformer le Sénat pour en réduire le rôle et en faire une simple Chambre consultative, fusionnée avec le Conseil Économique et Social. Et de deux : la régionalisation. Le Général veut faire des régions des collectivités territoriales et leur accorder des pouvoirs élargis, rompant ainsi avec une certaine tradition jacobine française, qui fait que tout ce qui concerne un territoire français, si éloigné soit-il de la capitale, est décidé à Paris.

Pour faire passer son projet, De Gaulle a deux solutions : passer par la réunion en Congrès des deux chambres, Assemblée nationale et Sénat, ou recourir au référendum. Sans doute en vertu du fait que les Sénateurs ne se tireraient pas volontiers une balle dans le pied, il choisit la voie du référendum.

Coup de théâtre à deux jours du scrutin : le général de Gaulle annonce : "si je suis désavoué par une majorité d'entre vous, je cesserai aussitôt d'exercer mes fonctions". Erreur politique, tentation inavouée de se retirer ? Toujours est-il que le référendum se mue en vote pour ou contre le maintien du général De Gaulle à l’Élysée pour une partie des Français, comme pour ceux qui attendent depuis longtemps son départ. Les partis de gauche et du centre, hostiles au pouvoir, appellent à voter non. Au cœur de sa propre majorité, Giscard d'Estaing, à la tête des Républicains indépendants, invite également les Français à voter "non".

Le 27 avril 1969, le texte est refusé par 52,41 % des suffrages. À minuit, le Général de Gaulle annonce par une simple dépêche qu’il quitte ses fonctions. Le 28 à midi, il quitte l’Élysée discrètement avec son épouse, sans aucune cérémonie, pour se réfugier dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises. Au chauffeur qui le conduit, il demande simplement : « vous roulerez lentement ».

Octobre 73 : Pompidou échoue à raccourcir le septennat

Au pouvoir depuis le départ du général de Gaulle, Georges Pompidou se lance en avril 1973 dans une réforme là encore destiné à rafraîchir le paysage politique. Cent ans exactement après l’apparition du septennat dans la constitution de la IIIe République, il annonce sa volonté de réduire la durée du mandat présidentiel à cinq ans.

Une réforme majeure qu’il justifie par l’obligation, à ses yeux, de voir le Président de la République soumis à un contrôle plus fréquent des électeurs : la constitution de 58, en lui accordant de larges pouvoirs, a en effet transformé la fonction qui n’a plus grand-chose de commun avec le rôle dévolu au Président de la République dans les IIIe et Ive Républiques. Autrement dit, quand votre rôle ne se limite plus à inaugurer des trucs et des machins ou à faire des bisous aux enfants, un contrôle plus fréquent des citoyens n’est pas idiot.

Contrairement à Charles de Gaulle 5 ans plus tôt, il choisit la voie du Congrè plutôt que celle du référendum – et fait un gros bide. Enfin pas exactement un bide, mais pas loin : la réforme est bel et bien adoptée à l'Assemblée nationale puis au Sénat en octobre 1973, mais avec des majorités trop faibles pour que Pompidou se risque à convoquer le Congrès. Il renonce officiellement le 24 octobre. Au risque de faire de l’humour un brin noir, rappelons que Pompidou s’appliquera tout de même sa réforme avortée, d'une certaine façon : il meurt en avril 74, un peu de moins de cinq ans après le début de son mandat.

Le quinquennat ne deviendra une réalité que 26 ans plus tard, après le référendum organisé par Jacques Chirac en septembre 2000 – et un résultat indiscutable, avec près de 75 % des suffrages en faveur de ce passage à 5 ans du mandat présidentiel.

1990-1993 : l’exception d’inconstitutionnalité n’est pas constitutionnelle [1]

14 juillet 1989 : François Mitterrand est encore au début de son second mandat et la France célèbre le bicentenaire de la Révolution. L’occasion rêvée pour le Président, le jour de la fête nationale, de présenter une réforme a priori simple : offrir à tout citoyen, s’il s’estime victime d’un texte juridique contraire aux libertés fondamentales, d’en faire vérifier la légalité au regard de la Constitution.

La question dépasse les partis, à en croire le Président qui veut ainsi permettre : « à tout Français de saisir le Conseil constitutionnel s'il estime ses droits fondamentaux méconnus. (…) ce serait un très grand progrès démocratique, [de permettre] à chaque Français de ne pas s'adresser à des intermédiaires mais de dire lui-même : "Mon droit fondamental - liberté, égalité, tout ce qui est contenu dans les grands principes inscrits dans la Constitution - est méconnu, il est transgressé ? Eh bien ! Je demande justice moi-même ! »

L’idée ne sort pas de nulle part : c’est Robert Badinter, alors président du Conseil Constitutionnel, qui l’a lancée quelques mois plus tôt. Quelques mois et quelques ramettes de papier brouillon plus tard, un premier projet est présenté en conseil des Ministres. Il permet à tout citoyen, en cas de procès, de soulever une « exception d’inconstitutionnalité ». Si les juges l’estiment fondée, la question serait alors tranchée par les sages du Conseil Constitutionnel.

Las : après des débats enflammés, le Sénat modifie le texte dans de telles dimensions que le projet est mis aux oubliettes trois ans, jusqu’en 1993. Cette année-là, plusieurs députés ressuscitent le texte de loi constitutionnelle de 1990 et y ajoutent quelques bricoles, comme la responsabilité pénale des ministres.

Sauf que boum : les élections législatives de 1993 modifient l’équilibre politique. Changement de majorité oblige, François Mitterrand entame sa seconde période de cohabitation et le Sénat détricote tellement la proposition de loi que le projet est à nouveau enterré pour quinze ans.

Il faudra attendre 2008 pour voir le principe de l’exception de constitutionnalité adopté dans la foulée de l’élection de Nicolas Sarkozy et sous le petit nom de QPC, pour question prioritaire de constitutionnalité.

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[1] Respirez calmement, reprenez votre souffle, c’est fini.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu