Commémorer la guerre d’Algérie, la date impossible

En choisissant d’attaquer le choix de François Hollande du 19 mars pour commémorer la guerre d'Algérie, Nicolas Sarkozy relance un vieux débat. Se souvenir d’une guerre n’a jamais été simple, et dans le cas de celle-ci moins encore. Retour sur une controverse aux racines profondes.

Quelques repères sur une guerre marquante

22 635 militaires français et 6 500 civils européens tués, 260 à 400 000 morts du côté algérien dont une large part de civils, 30 à 90 000 harkis abattus : la guerre d’Algérie compte parmi les conflits importants du XXe siècle.

Côté français, son poids dans la mémoire collective s’explique d’abord par le nombre d’appelés du contingent présents en Algérie : de 1952 à 1962, 1 343 000 jeunes gens y ont été engagés, complétant des effectifs de militaires professionnels – 407 000 hommes en dix ans. Sans oublier les 400 000 « supplétifs », ces algériens qui ont combattu du côté français, les fameux harkis.

Sur le plan politique, le conflit eut de lourdes conséquences à commencer par le retour aux affaires du général De Gaulle et la fin de la Quatrième République, remplacée par la Cinquième. Le tout suivi d’une atmosphère de guerre civile dans les années 60, quand une fraction de l’armée française s’opposa au choix du général de s’engager la route de l’autodétermination et donc de l’indépendance. Ceci sans même compter la question de la torture - employée par les deux camps mais longtemps niée par la France - la répression des populations civiles, les attentats perpétrés sur le sol algérien ou des massacres comme ceux de Charonne, en octobre 1961.

La date impossible

La difficulté d’entretenir la mémoire de ce conflit a des racines d’autant plus profondes que cette guerre fut longue à dire son nom : ce n’est qu’en 1999 (!) que la France accepta enfin de parler de guerre et non d’opérations de maintien de l’ordre…

Comment commémorer un épisode qui avait déchiré la population, les partis politiques, l’opinion et jusqu’à l’armée ? Comment saluer le sacrifice des soldats tués sans célébrer les réalités d’une colonisation d’un autre âge ? Comment ne pas réveiller les rancœurs et l’amertume ? Comment ne pas compromettre les liens complexes qui unissent aujourd’hui la France et l’Algérie ?

La difficulté de définir une date de commémoration n’est jamais que le symptôme de l’impossibilité collective de répondre à ces questions. Il y avait deux possibilités principales :

  • Le 19 mars : c’est la date de la signature des accords d’Evian, qui marque le début du cessez-le-feu.
  • Le 2 juillet 1962 : c’est la date limite de l’attribution de la carte de combattant d’Afrique du Nord aux soldats présents sur place, et par conséquent la reconnaissance de la fin du conflit.

Reste que chacune pose un problème : le 2 juillet, c’est la veille de l’indépendance officielle de l’Algérie. Difficile pour la France… Mais c’est surtout le 19 mars qui pose problème. Cette hostilité s’explique par un argument principal : la poursuite des combats et des exactions après la signature des accords d’Évian.

Le 5 décembre, date sans fondement

D’où le choix du 5 décembre, que beaucoup préfèrent au 19 mars. Fixée par Jacques Chirac en 2003 comme date de la commémoration, elle visait à mettre fin à la guerre des mémoires et donc à mettre d’accord les associations d’anciens combattants, elles-mêmes déchirées. Certaines militaient même pour une quatrième date, le 16 octobre, date à laquelle un soldat inconnu d’Algérie avait été inhumé à Notre-Dame de Lorette en 1977.

Jacques Chirac décida donc de choisir une date présentée comme « neutre », le 5 décembre. Le hic ? Elle n’est pas seulement neutre : elle ne repose sur rien, aucun évènement marquant du conflit.  Le 5 décembre est tout simplement la date à laquelle Jacques Chirac avait prévu d’inaugurer un monument en mémoire des 24 000 soldats tués en Algérie, le mémorial du Quai Branly… Si l’agenda du président avait été différent, on aurait tout aussi bien pu retenir le 4 décembre, le 8 février ou pourquoi pas la Saint-Glinglin. Et ce serait bien la première fois qu'on retiendrait la découpe d'un ruban comme date officielle d'une journée dédiée au souvenir...

Neutre sans doute, mais surtout déconnecté de l’événement qu’on prétend célébrer – un peu gênant pour une commémoration.

Pourquoi le 19 mars reste la moins mauvaise des solutions

Nicolas Sarkozy et les opposants à la date du 19 mars ont raison sur un point : le 19 mars ne marque pas la fin des souffrances causées par la guerre d’Algérie.

60 à 80 000 harkis – l’estimation est extrêmement complexe – furent tués en Algérie après mars 62. Près de 200 militaires français, dont beaucoup d’appelés du contingent, y perdirent encore la vie en 1963 et 1964. Quant aux Pieds-Noirs, ils voient le mois de mars comme le début d’un exode contraint (exprimé au travers du célèbre slogan « la valise ou le cercueil »).

Reste que l’argument touche à côté du problème. Qu’il y ait eu de nombreuses victimes et de nombreux drames après le 19 mars est une réalité historique incontestable. Mais ce qu’on commémore, ce n’est pas la fin des violences : c’est la date à laquelle est engagé le processus de paix. Au reste, la date est depuis longtemps acceptée par la principale association de vétérans, la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie (FNACA).

Dans la mesure où déterminer une date à partir de laquelle plus aucune violence n’aurait été commise est impossible, le 19 mars reste la moins mauvaise des solutions. Plus en tout cas qu’un 5 décembre qui ne correspond strictement à rien.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu