Quand un petit gars du Minnesota inventait les soucoupes volantes

La vérité est peut-être ailleurs, mais elle ne date pas de n'importe quand : la série X-Files – et avec elle son slogan culte – n'aurait jamais existé sans les fameuses soucoupes volantes. Et la silhouette délicieusement old school des vaisseaux extra-terrestres chers à l'agent Mulder n'aurait sans doute jamais vu le jour sans un jeune pilote américain. A l'heure où commence en France la diffusion de la suite de la série, retour sur le jour où les soucoupes volantes apparurent sur fond de ciel bleu.

Neuf disques brillants

L'été 1947 vient de commencer. Kenneth Arnold, un jeune aviateur de 32 ans originaire du Minnnesota, a décollé dans l'après-midi d'un petit aéroport de l'état de Washington pour rejoindre sa destination, la ville de Yakima. Son plan de vol l'amène près de la Chaîne des Cascades, l'immense arc montagneux de l'ouest des États-Unis.

Pilote privé, Arnold est un entrepreneur et un aviateur expérimenté. Il affiche plus de 9 000 heures de vol au compteur, pour l'essentiel au service d'un groupe de recherche et de secours aérien, la Search and Rescue Mercy Flyer. Son vol est précisément consacré à la recherche de l'épave d'un DC-6 de l'US Air Force, disparu en vol en décembre 1946.

Le ciel est bleu et clair, la visibilité excellente et le trajet se déroule sans encombre. Alors qu'il vole à 10.000 pieds, entre le Mont Rainier et le Mont Adams, Kenneth Arnold aperçoit soudain neuf disques extrêmement brillants, organisés en une ligne oblique, comme le serait une escadrille d'oies sauvages. Des objets d'une forme inhabituelle, arrondis à l'avant et triangulaires à l'arrière comme sur le schéma suivant, tracé de sa propre main.

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Incapable de les identifier, Arnold tente de s'approcher pour mieux les distinguer. Il situe la dimension des disques entre 12 et 15 mètres et observe qu'ils semblent capable de monter presque à la verticale, jusqu'à 3500 mètres, avant de plonger en piqué, sans modifier leur formation en diagonale. Il constate surtout que la rapidité des neuf objets est tout simplement sidérante. En chronométrant le temps que mettent ces disques éclatants pour passer du Mont Rainier au Mont Adams, il évalue leur vitesse à … 1700 miles à l'heure. C'est plus de deux fois celle du son – elle-même considérée pour quelque temps encore comme une frontière infranchissable par n'importe quelle machine humaine.

Petits hommes verts et méchants hommes rouges

La légende veut qu'Arnold ait trouvé à son arrivée à l'aéroport une nuée de journalistes prêts à gober son histoire. Rien de plus faux : une fois parvenu à Yakima, le jeune pilote commence par raconter son histoire à ses pairs pilotes.

Et ils sont très loin de se foutre de lui : repérer des objets difficiles à distinguer ou à reconnaître fait partie du quotidien des pilotes de l'époque - comme aujourd'hui d'ailleurs. Personne ne remet son témoignage en cause et le but de leur discussion n'est pas de savoir si Arnold a vu quelque chose mais de comprendre ce qu'il a vu.

Surtout, il faut garder à l'esprit que la mode des extra-terrestres n'existe pas encore. Personne ne redoute les petits hommes verts. En revanche, tout le monde redoute les méchants hommes rouges – les communistes, pour le dire plus franchement. Beaucoup pensent que le vainqueur de la guerre froide qui s'annonce sera celui qui déploiera la meilleure technologie. Convaincu d'avoir vu évoluer des appareils de nouvelle génération, Arnold s'inquiète : et s'il s'agissait d'avions soviétiques ?

Après s'être cassé le nez sur le standard téléphonique du FBI, il contacte deux journalistes locaux pour alerter non pas l'opinion, mais les autorités fédérales. L'un de ces derniers, Bill Bequette, tire de la rencontre une dépêche qu'il envoie à l'Associated Press – un petit morceau d'histoire…

Description erronée

C'est ce texte, daté du 25 juin 1947, qui utilise pour la première fois l'expression "flying saucer", soucoupe volante. Le plus beau, c'est que le journaliste s'est trompé : dans ses dépositions successives, Kenneth Arnold n'utilisera en réalité jamais cette expression pour décrire la forme de ce qu'il a vu – il parlera toujours de formes plates, arrondies à l'avant et anguleuses à l'arrière – mais leur mouvement.

Ce qu'a réellement dit Arnold, c'est que les objets se déplaçaient de façon irrégulière, « comme une soucoupe qui ricocherait sur l'eau » (« like a saucer if you skipped it across the water »). Autrement dit par ricochets comme une pierre plate qu'on lancerait à la surface d'un lac…

Nuages, mauvaises appréciations des distances, dénigrement divers… L'armée américaine, inquiète des réactions de l'opinion, finira par décrédibiliser plus ou moins aimablement l'observation d'un pilote qui souhaitait avant tout leur rendre service. Parfois contre l'avis de ses propres experts, eux-mêmes bien en peine d'expliquer le phénomène de ces soucoupes volantes. L'US Army comme les autorités de contrôle aérien font tout pour faire de Kenneth au mieux un fantaisiste en mal de sensations fortes, au pire un type vénal, bien décidé à faire sa pub. Rien n'est plus faux. Arnold, une fois encore, est un pilote expérimenté et reconnu par ses pairs qui n'a strictement rien à gagner à raconter une telle histoire. Et le jeune homme ne fera jamais rien pour parler d'extra-terrestres ou de créatures d'un autre monde.

Trop tard de toute façon : l'expression est née. En pleine paranoïa anticommuniste, les médias et la population oscillent entre les moqueries, ce qui blessera profondément Arnold, et l'emballement. Un an après la rencontre du Mont Rainier, le premier numéro du magazine Fate, dans lequel Arnold raconte son histoire installera dès sa couverture – celle qui ouvre ce billet – une silhouette célèbre et d'ailleurs très proche des croquis du pilote.

Les soucoupes volantes sont nées.

 

 

 

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu