Depuis que le tabac est arrivé d'Amérique dans les bagages des explorateurs européens, la France a souvent changé d'attitude vis-à-vis de "l'herbe à Nicot". En recommandant une hausse des prix de la cigarette, la Cour des Comptes ne fait qu'ajouter une touche de plus à l'histoire longue et compliquée d'une lutte contre le tabagisme qui ne date pas franchement d'hier – portée par des figures parfois surprenantes.
Urbain VII, le pape anti-tabac
Urbain VII reste dans l'histoire pour deux raisons. Et d'une, son pontificat reste le plus court de l'histoire de l'Eglise : le malheureux pontife régna… douze jours, du 15 au 27 septembre 1590avant de mourir de malaria… Et de deux, il restera pour les siècles des siècles comme l'auteur de la première législation anti-tabac de l'histoire, du moins en Occident, en interdisant de fumer dans les lieux saints.
Et pas question de mégoter[1] : le pontife menace tout bonnement les contrevenants de la peine la plus lourde : l'excommunication, autrement dit l'expulsion de la communauté chrétienne. Terrifiant pour un croyant, privé entre autres des sacrements… Ceux qui pensent pouvoir contourner l'interdiction de s'en griller une petite avant la messe en sont pour leurs frais : Urbain précise bien que l'interdiction concerne toutes les manières de consommer du tabac que ce soit en le mastiquant, en fumant la pipe ou pétunant, autrement dit en l'aspirant par le nez sous forme de poudre.
Jacques 1er, en croisade contre la clope
Au tournant des 16e et 17e siècles, une tripotée de souverains réagissent à l'arrivée de l'herbe par une vague de mesures anti-tabac. En Perse, le shah Abbas opte pour une législation tout en douceur : il fait trancher les lèvres des fumeurs des fumeurs de pipe et couper le nez de ceux qui sniffent la plante du Nouveau Monde. Le sultan ottoman Mourad IV fait de son côté brûler vif les malheureux surpris à fumer, sur le même bucher qui attend ceux qui boivent de l'alcool. En Russie, Michel 1er, fondateur de la dynastie des Romanov, menace de son côté les fumeurs de 60 coups de bâton sous la plante des pieds. Un passage à tabac, en somme[2].
Roi d'Ecosse et roi d'Angleterre, Jacques 1er ne porte pas non plus la nouvelle mode dans son cœur, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais plutôt que de l'interdire, le cher homme prit sa plus belle plume et se fendit d'un traité acide, "A Counterblaste To Tobacco". Il y qualifie le tabagisme d'habitude "répugnante pour l'œil, détestable pour le nez, dangereuse pour le cerveau et redoutable pour les poumons". Bien vu : il faudra 250 ans de plus pour que la science arrive grosso modo aux mêmes conclusions.
Plus loin, il évoque une "fumée noire et puante ressemblant de près à celle qui s'échappe de s fosses infernales" et reproche aux Anglais d'imiter en fumant "les mœurs barbares et bestiales d'Indiens sauvages et impies" – le racisme avait encore quelques beaux jours devant lui au tournant du 17e siècle.
Reste qu'anti-fumeur ou non, Jacques 1er se garda bien d'interdire le tabac, mais le taxa dans des proportions sidérantes – 4000 % de hausse tout de même. Réponds à ça, Didier Migault.
Adolf Hitler, grand pourfendeur du tabac
Ancien gros fumeur lui-même , Hitler vira de bord à la trentaine et comme beaucoup d'anciens fumeurs, se mua en opposant acharné de la cigarette, recyclée pour s'insérer dans sa vision raciste et antisémite. Dans ses discours, le tabac devient l'un des pièges tendus par les ennemis de l'Allemagne – entendez les Juifs, les communistes et grosso modo la terre entière – aux Aryens, dont "on" cherche à affaiblir la force et la santé. Ce qui amena le Führer à tanner tout son entourage, Goering et Eva Braun en tête, pour qu'ils cessent de fumer.
A cette vision s'ajoute le fait que médecine allemande des années 30 est à la pointe de la recherche sur le tabac. Avant leurs confrères anglo-saxons, ils ont mis en évidence les liens entre tabagisme et cancers du poumon, et défini au passage le concept de tabagisme passif.
De quoi inspirer le régime nazi, entre "hygiène raciale", culte de la pureté et eugénisme : dans l'Allemagne d'Hitler, on explique que les femmes fumeuses vieillissent plus vite, deviennent moins belles et donc moins attirantes pour les hommes allemands, qui leur feront donc moins d'enfants. De quoi menacer la natalité du Reich, alors que le Führer a tant besoin de soldats…
En quelques années, le IIIe Reich devient la première nation à se doter d'une véritable politique anti-tabac . En 1938, il est interdit dans les établissements de soins, dans certains services publics et dans les écoles. En 1941, sa consommation est interdite dans les tramways est prohibée dans soixante villes allemandes. La publicité, très encadrée, est bannie des stades et des transports en commun.
Tout l'appareil de la propagande du Reich est déployé pour lancer des campagnes d'information, notamment auprès des jeunes qui croulent sous les prospectus, les magazines et les publicités. Les jeunes mères et les sages-femmes sont (avec les pilotes de chasse) parmi les premières concernées par l'interdiction de la cigarette au travail. En 1944, la cigarette et la pipe sont prohibées dans les bus et les tramways sur ordre direct du Führer. Même dans l'armée, la cigarette est rationnée : six par soldat et par jour, pour une vingtaine jusque-là.
Tout ça pour… rien. Entre 1933 et 1939, le nombre de cigarettes consommées en Allemagne est multiplié par deux – plus vite qu'en France où aucune législation n'est encore en place.
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[1] Parfaitement. Et sans aucune honte.
[2] Toujours pas.