Trois anecdotes que vous ignoriez sur les essais cliniques

Un volontaire mort, cinq autres dans un état sérieux : si ses causes restent inconnues, l'incident survenu au cours des tests menée sur un médicament du laboratoire Biotrial, à Rennes, rappelle que l'histoire des essais cliniques n'est pas un long fleuve tranquille. Retour sur trois cas d'école.

Un médecin trouve le moyen de soigner le scorbut : tout le monde s'en moque

Le scorbut ne fait rigoler personne, à la grande époque de la marine à voile. Bien plus meurtrier pour les marins que les tempêtes, les pirates ou Moby Dick, cette carence en vitamine C provoque une mort vraiment moche. Mais vraiment : à la fatigue, les matelots ajoutent vite des dents qui se déchaussent et des œdèmes aux jambes ; leur nez saigne et leurs gencives dégoulinent de pus jusqu'à ce qu'ils meurent d'épuisement. Un chiffre ? Quand le commandant de la Royal Navy George Anson rentre d'un tour du monde en 1744, il revient avec 188 marins : moins de 10 % des 2 000 hommes partis quatre ans plus tôt. Quatre seulement sont mort dans des combats navals, un bon paquet de chutes ou d'accidents et plus d'un millier du scorbut.

Du coup, on se serait attendu à ce que tout le monde saute de joie quand un médecin écossais, James Lind, lance en 1747 ce qui reste comme le premier essai clinique de l'histoire. Après avoir divisé 12 marins touchés par le scorbut en six groupes de deux, il teste sur chaque binôme une substance différente : du cidre, du vitriol (pourquoi ? parce que), du vinaigre, une pâte à base d'ail et de moutarde, de l'eau de mer, des oranges et enfin des citrons. Miracle: les marins traités au lemon guérissent.

James Lind a compris comme éviter et traiter la maladie la plus meurtrière en mer, et tout le monde s'en cire le pingouin. Lind, timide, fréquente peu les milieux savants. Il attend six ans pour publier un pensum de 400 pages qui n'intéresse personne. Pire, il perd vite tout crédit : décidé à faciliter la vie des capitaines, il invente une sorte de produit à base de citron concentré, plus facile à stocker et à transporter : le "rob". Le hic ? Le citron est bouilli, ce qui tue la vitamine C et par conséquent la cure.

Il faudra attendre 33 ans avant qu'un autre médecin, Blane, ne déterre l'idée de Lind avec plus de succès et que le citron n'envahisse les cales de Sa Majesté.

Un Hongrois trouve comment sauver la vie des femmes en couche, ses confrères le conspuent

Si je dois avouer que je manque d'une expérience directe, le fait est que donner la vie à un nouveau-né n'a semble-t-il jamais été une partie de plaisir. A la douleur s'est longtemps ajouté un risque sérieux d'y laisser la vie : hémorragie, complications… et fièvre puerpérale, une maladie le plus souvent due aux… médecins. Jusqu'au 19e, on ignore encore que le fait de toucher d'autres malades et parfois des cadavres rend indispensable une désinfection scrupuleuse avant tout contact. Et les obstétriciens transmettaient donc leurs germes aux femmes en couche…

D'où une mortalité ahurissante dans certains établissements (jusqu'à 18  % !), qu'on attribue au confinement, à la promiscuité… Et des femmes qui préfèrent accoucher en pleine rue qu'à l'hôpital. Un médecin hongrois, Ignace Semmelweis, s'attaque au problème à Vienne en 1847 quand une septicémie emporte un ami qui s'était accidentellement blessé avec le scalpel utilisé au cours d'une autopsie. Ul suspecte un lien entre les cadavres et la fièvre et se lance dans une analyse statistique scrupuleuse des décès qui confirme son intuition. Faute de théorie microbienne, il conclut qu'une "substance cadavérique inconnue" est à l'origine des fièvres. En mai 1847, il préconise une désinfection des mains entre le travail d'autopsie et l'examen des patientes. Le taux de mortalité des jeunes mères est aussitôt divisé par cinq…

Évidemment, le docteur adulé est immédiatement récompen… Ah non : entre jalousies professionnels et racisme de classe des Autrichiens pour ce petit Hongrois qui prétend leur apprendre à ne pas tuer, Semmelweis est banni de Vienne et discrédité par la communauté médicale. Qui condamne par la même occasion à une mort abominable des milliers de jeunes mères.

Le malheureux ne s'en remet pas. Touché par une dépression nerveuse en 1865, il est interné dans un asile psychiatrique… à Vienne. Il s'y fait battre par le personnel au point de mourir de ses blessures quinze jours plus tard. D'une septicémie : personne n'avait désinfecté ses plaies.

Le contraceptif masculin fait pousser les poils. Des femmes.

Au début des années 80, la question de la contraception masculine est ouverte – après tout, renvoyer suer les seules femmes la responsabilité de "faire attention" a quelque chose d'assez misogyne pour piquer les consciences. Les médecins et les volontaires qui prennent part aux essais ont le sentiment d’écrire une page de l’histoire avec un objectif simple : mettre au point le premier contraceptif masculin. Parmi les pistes envisagées, certains groupes tests sont amenés à prendre des pilules, associées à une lotion chargée en testostérone qu’il faut s’appliquer sur l’abdomen.

En gros, on se pommade le bide. Et un an plus tard, cette solution se solde précisément par un bide. Pour une raison que personne n'a vu venir et que seuls les essais cliniques ont permis de montrer...  La testostérone, c'est bien, mais ça fait pousser les poils. Les hommes n'en sont pas forcément gênés, et encore, mais les femmes davantage. Et le fait est qu'en couple, il se peut qu'on passe un peu de temps serrés l'un contre l'autre. Que donc la peau de madame soit en contact avec le ventre de monsieur.

Et que madame se retrouve en peu de temps avec la barbe de Léon Gambetta.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu