Le tennis n'a rien inventé : retour sur le plus vieux match truqué du monde

Après l'athlétisme, au tour du tennis d'être touché par un nouveau scandale sportif. Une tendance qui n'a rien de franchement neuf : tricherie, corruption et rencontres truquées sont de toute évidence nées dans la nanoseconde qui suivit l'invention du premier sport. La preuve par un drôle de parchemin, première trace connue d'une rencontre truquée négociée entre deux athlètes.

Pour quelques drachmes de plus

Le bonheur, disait Alexandre Vialatte, remonte à la plus haute Antiquité. A en juger par un parchemin déchiffré en 2014 par une équipe d'historiens Oxford, la tricherie se tenait juste derrière dans la file.

Bienvenue en Egypte en 267 de notre ère, sous le règne de l'empereur Galien. A ma gauche, Nicantinous. A ma droite, Démétrius. Les deux adolescents pratiquent une forme ancienne de lutte grecque, dans la catégorie junior. Gagner la rencontre suppose d'expédier son adversaire au tapis à trois reprises. Tous deux sont qualifiés pour ce qui serait aujourd'hui la phase finale d'une prestigieuse compétition internationale de lutte, à Antinoupolis. Les combats se tiennent dans le cadre des fêtes religieuses donnée en l'honneur d'Antinoüs [1], vieilles de plus d'un siècle.

En 2014, une équipe de chercheurs encadrée par Dominic Rathbone a déchiffré un contrat discrètement conclu 17 siècles plus tôt entre les pères des deux jeunes athlètes. Surprise : celui de Nicantinous y annonce noir sur blanc qu'il accepte de payer l'adversaire de son fils pour que ce dernier se couche…

Le prix d'un âne

Le montant du pot-de-vin est précisé à la drachme près : le contrat stipule que Démétrius devra tomber au sol à trois reprises, et touchera en échange "3 800 drachmes en vieilles pièces d'argent". La version antique des petites coupures, en somme… Mieux non seulement l'accord précise que la somme restera due dans l'hypothèse où le jury réaliserait que la rencontre est arrangée, mais il prévoit même le cas d'une éventuelle rébellion du perdant programmé : "vous devrez alors nous payer à titre de pénalité (…) trois talents d'argent en vieilles pièces de monnaie, sans retard et sans arguments habiles". Reste à évaluer l'importance des sommes en jeu : de ce côté là, il faut bien avouer qu'on est loin de celles qu'on évoque dans le cas des tennismen du circuit ATP. 3 800 drachmes, c'est en en gros le prix d'un âne. Ce n'est pas rien dans une économie rurale, mais pas non plus la version romaine d'une Ferrari…

Une prise de risque payante ?

Pourquoi prendre de tels risques ? Pour les des raisons sensiblement équivalentes à celles qui amènent les athlètes modernes à contourner les règles. Les vainqueurs des compétitions comme celle d'Antinoupolis touchaient des sommes considérables, se retrouvaient couverts d'honneurs et recevaient parfois des pensions de leurs villes d'origine.

Le hic ? Pour citer le célèbre groupe d'historiens Abba, the winner takes it all. Le podium est une invention plus tardive et les seconds ne touchaient strictement rien alors que leur entraînement coûtait cher : nourriture, salaire des instructeurs, déplacement, logement… De quoi se retrouver rapidement endetté auprès des entraîneurs et conduire quelques tentations : à moins de se croire invincible, un pot-de-vin pouvait être tentant.

Une forme d'assurance tous risques qui séduisait bien des articles : le monde romain regorge d'évocation de tricheries de ce genre, jusqu'au plus haut niveau. Mention spéciale à Néron : l’empereur remporta six  épreuves des Jeux Olympiques de 67 en soudoyant à peu près la moitié de la Grèce. Ma préférée ? La course de chars à dix chevaux : Néron  réussit à remporter la couronne malgré deux chutes successives?. Un véritable exploit que relativise un peu le fait qu'il était le seul concurrent.

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[1] Le jeune amant de l'empereur Hadrien, divinisé à 20 ans après sa disparition accidentelle en 130 après J.-C. Hadrien, effondré, fonda la ville d'Antinoupolis en mémoire d'Antinoüs, mort noyé dans le Nil voisin.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu