Profane, païen, chrétien, Noël ? Inutile de vous injurier en famille ce midi, la réponse la plus juste est probablement : un peu tout à la fois. Si la date de Noël n’a pas été expressément fixée pour « s’approprier » une fête païenne, le fait est que la zone qui tourne autour du solstice d’hiver est légèrement encombrée, sur un plan religieux. Exemples.
- La Bible ne donne aucune date précise de la date de naissance du Christ [1]. La date de naissance estimée du Christ a été progressivement fixée entre le 3e et le 4e siècle, au gré des communautés chrétiennes qui cherchaient à situer précisément la naissance de Jésus dans le temps. Elle correspond très exactement au solstice d’hiver – mais dans le calendrier julien, pas dans notre calendrier grégorien. Oui, c’est le souk...
- Avant celle de Jésus, le 25 décembre marquait la naissance de Sol Invictus (le Soleil Invaincu), un culte solaire public mis en place par l’empereur romain Aurélien autour de 270. Le culte de Sol Invictus était syncrétique : plus simplement, il rassemblait une série de religions soit typiquement romaines (Apollon), soit venue d’Orient (Dont… le Christ, qu’Aurélien chercha à intégrer à « sa » divinité. Avant de marquer la naissance de Jésus, le 25 fut donc le dies natalis Solis, le jour de la naissance du Soleil. Constantin, le premier empereur chrétien, sera d'abord un fervent de Sol (il fera même du dimanche un jour chômé en son honneur) avant que le culte ne soit progressivement remplacé par le christianisme. Et Sol rejoindra définitivement la longue liste des dieux morts en 380, quand Théodose en interdira définitivement le culte.
- … Et avant celle de Sol Invictus, le 25 décembre marquait une fête importante pour les croyants d’un culte solaire relativement nombreux dans l’Empire : les mithriastes, adorateurs du dieu Mithra, venu tout droit d’Inde et de Perse. Réservé aux hommes, particulièrement répandu chez les militaires et les marchands, Mithra ne naît pas dans une étable sous le regard d’un âne et d’un bœuf mais d’un rocher au fond d’une grotte, sous celui de la Lune et du Soleil – le 25 décembre. Un culte solaire, dans une grotte ? Le symbole n’est pas rare : c’est dans l’obscurité que la lumière attire le plus. Et l’obscurité n’est jamais aussi longue qu’au solstice…
- … Et ça continue : avant la naissance de Mithra, de Sol Invictus et de Jésus, le 25 décembre marquait le terme d’une fête romaine classique, les Saturnales [2] – une sorte d’équivalent de nos carnavals où régnaient quelques jours une atmosphère plus permissive. Les esclaves pouvaient se moquer sans risques de leurs maîtres, les faibles des puissants, les pauvres des riches. Les écoles étaient fermées, comme une partie des boutiques. On plaçait aux carrefours où sur les seuils des maisons de petites figurines en l’honneur de Saturne. Les Saturnales se terminaient par les Sigillaires, une fête où la coutume voulait qu’on offre des petits cadeaux aux enfants : petites figurines de terre cuite, jouets, anneaux… Une tradition qui rappelle fortement nos propres étrennes. Assez pour y voir un héritage ? Ce serait quand même pousser un peu mémé dans le sapin.
- Une dernière ? Les fêtes liées au(x) solstice(s) ne sont pas une spécialité méditerranéenne. Dans le monde germanique et scandinave, la période de Noël correspond à l’ancienne fête de Yule, marquée par des veillées où l’on chante et où on raconte des histoires en festoyant. Comme dans le reste de l’Empire romain, la christianisation viendra petit à petit recouvrir l’ancienne fête païenne en intégrant certains symboles, à commencer par le gui : chez les Germains, Yule célèbre en effet la mort d’un arbre-dieu, le Roi de Houx, abattu par son semblable, le Roi de Chêne. Dans la mythologie scandinave, Odin profite de Yule pour rendre visite à ses enfants terrestres. Lui et d’autres dieux visitent ainsi chaque maison pour récompenser ceux qui ont bien agi durant l'année, et laissent un présent dans leur chaussette – ou des cendres, pour ceux qui ne sont pas bien comportés. Ça vous rappelle quelqu’un… ?
___________
[1] « Joseph...monta de Galilée vers la ville de Bethléem (…) venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte (…) Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. » (Luc, 2, 4-6).
[2] Pour être tout à fait précis, les Saturnales s’arrêtèrent longtemps autour du 23 décembre, mais leur allongement progressif les étendit jusqu’au 25.