Un concept scientifique ne sort pas de nulle part et sa vulgarisation non plus. Bien avant les premières grandes conférences sur le climat, la théorie du réchauffement climatique fut avant tout un long cheminement scientifique. Très long : le célèbre "effet de serre" a été théorisé dès le 19e siècle. Retour sur la naissance d'un concept.
Analogie imparfaite
Première remarque : si la notion d'effet de serre est largement répandue – réchauffement climatique oblige - elle a le don de faire grincer les dents des scientifiques, et pour cause : les gaz à effet de serre ont pour effet de bloquer et de réfléchir une partie du rayonnement thermique. Rien à voir avec ce qui fait monter la température sous une serre et qui relève du principe de convection, pas du rayonnement. Détail tant que vous voudrez, mais si vous voulez faire le malin dans les raouts mondains, parlez plutôt de forçage radiatif.
Cororico : l'arrière-grand-père de l'effet de serre est français
Bienvenue à Paris en 1824, au beau milieu de la première révolution industrielle : le physicien Joseph Fourier publie à 38 ans ses Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, un ouvrage qui décrit les principes qui font varier la température de la Terre, "plongée dans la température froide du ciel planétaire (…) et chauffée par les rayons solaires, dont l'inégale distribution produit la diversité des climats."
C'est beau comme du Jules Verne, mais Fourier est surtout le premier à percevoir un fait majeur : aux mécanismes naturels qui joue sur les variations de température s'ajoute l'action de l'homme. Il distingue clairement les causes cosmiques et les circonstances locales : " mouvements de l'air et des eaux, étendue des mers, élévation et la forme du sol, et les effets de l'industrie humaine"… C'est la première fois dans l'histoire des sciences qu'on imagine un tel lien.
Avec Tyndall, le gaz part
Reste à comprendre exactement comment, ce dont tout le monde se moque éperdument pendant plusieurs décennies jusqu'à ce que débarque un certain John Tyndall, ingénieur irlandais de son état. Au terme d'une série d'expériences relativement foutraques menées entre autres dans les glaciers alpins et sur lesquelles je ne m'étendrai pas pour l'excellente raison que je n'y pige que couic, Tyndall publie le résultat de ses recherches en 1861. Il établit que le climat change en fonction de la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère et ajoute " que des «remarques similaires s'appliquent au gaz carbonique diffus dans l'air", le fameux C02.
Eh oui : ça ne fait jamais que 153 ans qu'on a compris l'impact potentiel du C0² sur le climat. Mais tout le monde s'en fout. Personne n'imagine encore que l'homme puisse modifier le climat, à commencer par Tyndall lui-même qui écrit que "l'histoire de l'homme n'est qu'une petite ride à la surface de l'immense océan des temps. La persistance d'un état (…) favorable à la continuation du séjour de l'homme sur la Terre semble assurée pour une période de temps bien plus longue que celle durant laquelle ce monde a déjà été habité; de sorte que nous n'avons rien à craindre pour nous-mêmes, ni pour de longues générations après nous.". Loupé, hélas.
Arrhénius et la théorie de la "serre chaude"
C'est au tout début du 19e siècle qu'un suédois, Arrhénius va mettre un nom sur le phénomène dans son livre "L'évolution des mondes". Citant Fourier et Tyndall, il décrit le fruit de leurs travaux comme "la théorie de la serre chaude… ces physiciens ont établi que notre atmosphère joue même rôle que le vitrage d'une serre … Les éléments de l'atmosphère qui sont causes de ce fait sont la vapeur d'eau et l'acide carbonique." Arrhénius, qui a un nom tout droit sorti d'un Tintin, va plus loin : "j'ai pu calculer que si l'acide carbonique disparaissait en entier de notre atmosphère (…) la température du sol diminuerait de 21°C. (…) La disparition de la moitié de l'acide carbonique existant causerait un refroidissement d'environ 4°C. (…) L'acide carbonique doublerait-il en quantité, que nous gagnerions 4°C; il devrait augmenter de quatre fois son volume actuel pour gagner 8°
Et voilà… Arrhénius fut le premier faire le lien entre développement industriel, consommation des énergies fossiles, augmentation de la concentration du gaz carbonique dans l'atmosphère, effet de serre et changement climatique à l'échelle du globe. Mieux, il comprit que le cycle naturel du carbone pouvait "subir les conséquences de la consommation industrielle du charbon" et chercha à démontrer que la consommation d'énergie fossile influençait le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère et donc climat. Arrhenius voit plus loin : non seulement la consommation énergétique de la civilisation industrielle montre une croissance du taux de CO2, mais il perçoit déjà que cette croissance accélère.
Tout ça alors que les sciences de l'atmosphère n'existaient pas ou à peine… Mais paradoxalement sans s'en inquiéter : fervent optimiste, jamais Arrhénius ne vit dans la hausse des températures un problème majeur, se contentant de décrire le renforcement de l'effet de serre comme une question à long terme, pas comme le risque d'un désastre écologique global à plus ou moins brève échéance.
Seuls certains naturalistes s'en inquiétèrent dès le début du 20e siècle ; ils restèrent largement isolés jusqu'en 1945 – et encore : la grande peur, longtemps, fut celle de l'hiver nucléaire. L'idée que c'est dans l'économie des temps de paix et dans la croissance ahurissante des Trente Glorieuses que résidait le plus grand risque allait attendre encore un peu – les années 60, en fait, avec les premières conférences internationales sur la biosphère (1968) ou sur l'environnement (1972).