La mort de Diesel, la chienne du Raid tuée au cours de l’assaut de Saint-Denis a conduit à des réactions partagées : aux hommages attristés des uns répond l’agacement des autres devant une émotion qu’ils jugent exagérée, sinon déplacée. L’idée suggérée par certains de lui attribuer une médaille a notamment soulevé un vent de critiques – et pourtant, c’est loin d’être la première fois qu’on décore un animal utilisé dans des situations de crise ou de conflits. Retour deux des plus célèbres, Vaillant et Cher Ami.
« Franchir ou mourir »
Toujours très répandue dans le Nord de la France, la colombophilie – l’art d’élever et de faire concourir des pigeons voyageurs – a eu son heure de gloire très tôt, en matière militaire : les Romains s’en servaient souvent pour transmettre leurs messages aux unités engagées.
L'usage dura jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, où les oiseaux furent utilisés de façon épisodique. Au cours de la guerre précédente en revanche, l'usage fut massif : en cinq ans, la seule armée française utilisera plus 30 000 pigeons pendant la Grande Guerre pour transmettre les ordres et les renseignements – pas par plaisir, mais parce que ces oiseaux ont d’immenses atouts : un pigeon passe à travers les bombes, les obus, la fumée, la brume ou la pluie, les tirs… Idéal pour transmettre ses instructions quand les signaux optiques ou radio ne fonctionnent pas et quand expédier une estafette reviendrait à condamner un homme à mort. Mieux : ils sont aussi utilisés pour prendre quelques-unes des premières photos aériennes de l’histoire, grâce à des appareils ultralégers fixés sur leur poitrine. Élevés et formés au sein du 8e régiment des transmissions, les pigeons de l’armée française ont chacun leur matricule, et même leur devise : « franchir ou mourir ».
Un pigeon en l’occurrence allemand et son appareil photo.
Les stratèges allemands en avaient suffisamment conscience pour interdire formellement l’envoi de pigeons depuis les zones qu’ils occupent : en décembre 1915, les autorités rappellent aux « coulonneux » (les amateurs de colombophilie) qu’il est interdit de lâcher des pigeons voyageurs – sous peine de mort, tout de même : l’envoi d’un oiseau fait de tout Lillois un espion potentiel…
Vaillant, le dernier pigeon
Le pigeon le plus célèbre de la Grande Guerre a un nom célèbre depuis la sortie de Vaillant, un film d’animation de 2005 qui raconte les aventures d’un pigeon anglais pendant la Seconde Guerre – vol absolu de ces Anglais perfides : Vaillant a bien existé, mais était tout ce qu’il y a de français et a lancé son vol héroïque en 1916.
Le 1er juin 1916, l’armée allemande s’attaque au fort de Vaux, au début de la bataille de Verdun. Assez vite, les 600 soldats menés par le commandant Raynal sont cernés et assiégés dans le cœur des fortifications. Vaillant, lui – matricule 787.15 - fut le dernier pigeon envoyé par le Commandant Raynal à sa hiérarchie ; il partir le 4 juin à 11h30, chargé du message suivant :
« Nous tenons toujours mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuses. Il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite toute communication optique par Souville, qui ne répond pas à nos appels. C’est mon dernier pigeon. »
On sait la suite, malheureusement, trois jours après l’envoi de Vaillant, le manque d’eau contraindra les 250 survivants à se rendre après une résistance acharnée.
Voici ce que raconte la citation qui raconte son exploit : « malgré les difficultés énormes résultant d’une intense fumée et d’une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l’avait chargé le commandant Raynal, unique moyen de communication de l’héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de ce officier fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier. »
Mourant, mais miraculé : soigné, Vaillant survivra quelques années, bien assez pour recevoir sa citation - citation à l'ordre de la Nation, ce qui fait de Vaillant un titulaire tout ce qu'il y a d'officiel de la Croix de guerre et le piaf le plus décoré de l'histoire de France.
Cher Ami, médaillé de guerre
Si la plus haute distinction américaine pour un combattant est la célèbre Medal of Honor, la Distinguished Service Cross suit de près : elle est décernée à toute personne qui s’est distinguée par un acte héroïque. Et en l’occurrence, à un pigeon.
En Argonne, en juillet 1918, un bataillon américain trop avancé se trouve trouva séparé du reste de son régiment et encerclée par les troupes allemandes. Les volontaires qui tentent de rejoindre le reste des troupes pour rétablir la liaison y laissent leur vie. C’est un pigeon bleu ardoise et blanc, Cher Ami, qui sauvera la situation : son message à la patte, « Cher Ami » traverse le feu des mitrailleuses ennemies et arrive sain et sauf au QG. Le bataillon sera finalement dégagé par les troupes aussitôt envoyées.
Utilisé à plusieurs reprises, Cher Ami finira un jour par être touché par un éclat d’obus qui lui emporta une partie de la patte. Le brave pigeon arrivera pourtant tout sanglant chez son destinataire, avec son message toujours attaché à ce qui lui restait de patte…
Le général Pershing lui-même, touché par l’histoire, gratouillera la tête du valeureux pigeon avant de lui remettre en personne la Distinguished Service Cross. Cher Ami finira tranquillement ses jours dans un colombier de Washington…