Jamais en retard d’une polémique intéressante, le maire de Béziers, Robert Ménard, vient d’annoncer son intention d’interdire l’ouverture de nouveaux kebabs dans le centre de Béziers au motif que la France est un pays de culture judéo-chrétienne. Comme je n’ai à première vue sincèrement pas compris le rapport avec la choucrou… comme je n’ai pas compris le lien, j’ai cherché ce que ça pouvait être, un plat français authentiquement judéo-chrétien.
Le steak-frites ?
Ah non. Mais alors pas du tout. La pomme de terre, éminemment essentielle au concept de frites, est arrivée en Europe au XVIe siècle dans les bagages des conquistadors espagnols. C’est tout sauf judéo-chrétien, la patate, et nettement plus précolombien – inca, pour être précis [1]. Et encore, on a surtout nourri les porcs avec pendant deux bons siècles.
Les tomates farcies ?
Toujours pas. C’est un peu comme la patate, une tomate : étranger et terriblement païen. À ceci près que ce fruit (eh non, ça n’est pas un légume) vient tout droit du Mexique plutôt que du Pérou. Ce qui fait au passage de la bonne vieille pizza une tradition à peu près aussi judéo-chrétienne que le sombrero.
La mousse au chocolat ?
Encore moins, et pour à peu près les mêmes raisons : c’est maya, le chocolat. Ou aztèque. La tradition judéo-chrétienne n’a encore une fois pas grand-chose à voir avec un ingrédient qu’on a commencé à cuisiner à environ 10 000 kilomètres de, disons, Béziers.
Bon, mais la blanquette de veau ?
Difficile de faire plus français que la blanquette de veau et donc plus judéo-chrétien, dirait Robert Ménard. Non ? Caramba, encore raté : il y a des carottes dans la blanquette. Et la carotte, je vous le donne en mille, c’est … ? Iranien. Perse. Disons qu’un bon vieux bol de carottes râpées peut à tout prendre être considéré comme un plat de culture pré-zoroastrienne. Et tant qu’on y est, c’est valable pour tout ce qui est artichauts, épinards, aubergines…
Mais la bière, au moins, c’est judéo-chrétien, ça, la bière ?
Comment dire. Non. C’est mésopotamien. Sumérien, pour être précis. Puis égyptien. Puis grec. Rien à voir avec notre bonne vieille culture judéo-chrétienne pendant la bagatelle d’une grosse dizaine de siècles. Et tant qu’on y est, le vin, ce vin qui se trouve au cœur des cultures judéo-chrétiennes – eh bien c’est caucasien, le vin.
BON ÇA M’ENERVE DISONS LA GALETTE BRETONNE ?
La galette de blé noir, dite galette de sarrasin… ? Absolument. Tout à fait. C’est très très judéo-chrétien, la galette bretonne. Enfin à condition d’accepter que la Chine soit un pays de tradition judéo-chrétienne, puisque c’est de là qu’est arrivé le blé noir, dit sarrasin, qu’on s’est mis à utiliser en Bretagne. Au XVIe siècle. C’est-à-dire que ça n’est pas du tout judéo-chrétien, en fait.
Bref
Oui, bref. On pourrait pousser loin en s’engageant dans la voie absurde ouverte par le maire de Béziers, qui semble s’être mis en peine de baptiser les assiettes – on ne sait trop pourquoi. Ou on pourrait se contenter de laisser les restaurateurs vendre la nourriture qu’ils veulent et les consommateurs la leur acheter si ça leur chante. Et de se prendre un petit café pour se détendr… Ah mince : c'est éthiopien.
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[1] Alors que si c’était aztèque, on aurait pu parler d’aztèque-frites et on aurait vachement rigolé.