56 ans avant le World Trade Center, un avion s’écrasait en plein New York

Une façade éventrée par l’impact, des morceaux de fuselage projetés à pleine vitesse à travers les bureaux, un moteur d’avion retrouvé à plusieurs centaines de mètres du gratte-ciel, des corps précipités plusieurs centaines de mètres plus bas… New-York, le 11 septembre 2001 ? Non : New-York, le 28 juillet 1945.

Samedi 28 juillet 1945 : temps chaud et humide, risque de brouillard

Été 45. La Seconde guerre mondiale touche à sa fin : l’Allemagne a capitulé le 8 mai mais la guerre continue dans le Pacifique où le Japon ignore encore, en cette fin juillet, qu’il sera bientôt frappé coup sur coup par deux bombes nucléaires. Loin du théâtre des opérations, New York commence le weekend par une mauvaise nouvelle : ce samedi 28 juillet au matin, il règne un temps dégueulasse. Mais alors une purée de pois d’anthologie, mes aïeux. On n’y voit pas à huit mètres et ça ne s’arrange pas au fil des heures.

Les New-Yorkais râlent, mais moins que les pilotes et les contrôleurs aériens : impossible de distinguer quoi que ce soit, tout le trafic aérien est désorganisé autour de La Guardia, l’aéroport de la ville. Ce qui ne gêne pas plus que ça le lieutenant-colonel William Smith, un pilote de 27 ans: il n’a pas la moindre intention de se poser à La Guardia, de toute façon. Sa mission, c’est d’aller poser son bombardier B-25 à Newark, à une quarantaine de kilomètres de là. Le hic ? Sa trajectoire l’emmène pile au-dessus de Manhattan.

Mauvais choix

Devant la bouillasse qu’il aperçoit à l’approche de la Grosse Pomme, Smith contacte le sol pour tâter la température et se renseigner sur la météo. Les aiguilleurs l’invitent instamment à se barrer de là à toute allure. Les bulletins météos sont clairs, nets et précis : ça n’est pas parti pour s’éclaircir.

Smith répercute l’information par radio à ses supérieurs qui en tirent aussitôt une conclusion évidente : se détourner et… Ah non, tiens : Smith reçoit l’ordre formel de poursuivre sa route. Coincé entre l'évidence et son sens de la discipline, Smith ne tergiverse pas et suit l’ordre de ses chefs, en lançant son bombardier dans le brouillard. À 700 mètres – l’altitude la plus basse autorisée pour survoler la ville – il ne risque a priori pas grand-chose : le plus haut building du monde, l’Empire State Building, culmine à 381 mètres[1]. Mais Smith vole en pleine couche nuageuse : à cette hauteur, il ne voit strictement rien : « Je n’arrive pas à distinguer le sommet de l’Empire State Building », annonce-t-il à la radio, quelques instants avant de décider de… plonger à 300 mètres.

Question visibilité, ça va effectivement tout de suite mieux : Smith voit parfaitement surgir sous son nez le Central Building, qu’il évite de justesse avant de zigzaguer quelques minutes encore, frôlant le célèbre Chrysler Building puis le Rockefeller Center. Le malheureux parvient encore à jouer avec la mort quelques secondes encore – avant de perdre. L’Empire State Building surgit soudain devant lui – un mur de verre, de béton et d’acier dans lequel il s’encastre à 9h48, au 79e étage. Smith meurt dans le crash, et ses deux hommes d’équipage avec lui.

Betty Lou Oliver, la miraculée

Les réservoirs du bombardier explosent aussitôt et un incendie monstrueux se déclenche, semant la panique dans les bureaux où se trouvent quelques employés du War Relief Service – heureux hasard, on est un samedi et l’immeuble est bien moins peuplé qu’en pleine semaine. Huit employés meurent pourtant sur le coup, tandis que d’autres luttent contre les flammes qui ravagent tout l’étage dans la panique qu’on imagine. A l’impact, les deux moteurs du bombardier – les parties les plus lourdes d’un avion avec le train d’atterrissage  - ont traversé tout l’immeuble. Le premier sera retrouvé en contrebas, sur le toit d’un immeuble voisin, sans blesser personne. Un miracle.

Question miracle, Betty Lou Oliver ne sera pas volée dans l’histoire. Employée au 80e étage, elle a été durement blessée par l’explosion du B-25 sous ses pieds, mais son état n’est pas critique. Les pompiers, intervenus très rapidement, la descendent de 5 étages à la force des bras, avant de chercher à l’évacuer par les ascenseurs. Ils viennent tout juste de placer la jeune femme dans la cabine que les câbles lâchent, légèrement fragilisés par le fait que le second moteur du B25 a précisément fini sa course sur le toit de cette cabine. Betty est précipitée 80 étages plus bas. Freinée légèrement par les câbles et par la compression de l’air, la cabine s’écrase au rez-de-chaussée sans avoir atteint sa pleine vitesse en chute libre. Et Betty finit sa journée en vie, avec un record au Guinness dont quelque chose me dit qu’elle se serait bien passée.

empire state building

Une vue de la façade éventrée par le choc.

Un bilan meurtrier mais pas trop quand même

Il y aura 14 morts et 26 blessés dans l’accident d’avion de l’Empire State Building, bien loin des 2 753 victimes des tours du World Trade Center, et l’immeuble ouvrira même ses portes dès le lendemain. Un bilan relativement faible qui s’explique par plusieurs facteurs : le faible nombre d’employés présents un samedi, bien sûr, mais surtout la taille du B-25, qui n’était Dieu merci pas chargé des quelques tonnes de bombes qu’il peut embarquer. Avec ses 20 mètres d’envergure, le bombardier du lieutenant Smith ne pesait qu’une quinzaine de tonnes. Une paille, comparé aux 160 tonnes des deux 767 qui frapperont le World Trade Center un demi-siècle plus tard.

Un bonus ? D’accord : les informations de l’époque, tournéee par un cameraman de chez Pathé, donnent une idée de l’ampleur du crash.

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[1] L’antenne qui lui fait atteindre 443 mètres ne sera installée qu’en 1952.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu