De Ravachol et des anarchistes du 19e siècle à Daesh en passant par l’IRA, l’ETA, le Ku Klux Klan ou les Brigades rouges, le terrorisme a le dos large. Qu’il réponde à des motivations religieuses, politiques, raciales… il poursuit un même objectif : frapper les esprits d’une population donnée par des actions meurtrières destinées à créer la peur et la panique. Et si le mot lui-même ne date jamais que de deux siècles[1], son principe ne date pas d’hier : à bien des égards, les techniques des Sicaires de la Judée antique répondent au profil des meurtriers d’aujourd’hui. Ou en tout cas, c'est fichtrement ressemblant.
Bienvenue en Judée romaine
Sans chercher à refaire ici l’histoire fichtrement complexe de la Judée, on se bornera à rappeler qu’elle correspond grosso modo, géographiquement parlant, au sud d’Israël et à la Cisjordanie actuels. Peuplée de Juifs, la Judée passa par une phase de domination perse puis grecque avant de gagner son indépendance vers 168 avant J.-C., à la suite de la révolte des Maccabées.
Manque de pot, l’extension de la puissance romaine en Méditerranée mit fin à cette autonomie en 63 avant Jésus-Christ. Les décennies passèrent ; si la Judée était officiellement dirigée par une série de rois[2], si le degré de domination romaine peut varier, la Judée est bel et bien placée sous la domination de l’Empire romain depuis un moment quand un groupe d’extrémistes, les Sicaires, commencent à semer la mort un peu partout.
Un pays déchiré
Leur apparition a quelque chose de presque inévitable dans un pays aussi à vif que la Judée. Si le pays était très majoritairement peuplé de Juifs, des divisions apparaissent entre les partisans d’une stricte observance des traditions et des rites juifs et ceux qui cherchent à s’accommoder de la romanité – autant dire de la présence de païens, difficilement compatible avec le monothéisme juif. Déchirements culturels, déchirements religieux : le judaïsme est traversé par une foule de courants plus ou moins traditionalistes et rigoristes. Les Juifs les plus pieux tolèrent de moins en moins bien la présence romaine. Au premier siècle, le conflit se fait de plus en plus ouvert et se traduit par une atmosphère délétère : messies et prophètes plus ou moins farfelus se multiplient, des écrits de plus en plus radicaux circulent, annonçant une toute prochaine Apocalypse et appelant à rejeter le joug de Rome.
Pharisiens contre Zélotes
Parmi les Juifs les moins hostiles à la présence romaine, les Pharisiens occupaient la première place. Jouissant d’un certain prestige, attachés à un strict respect de la Loi juive, ils n’en étaient pas moins plutôt favorables à l’autorité romaine, seule capable à leurs yeux de maintenir l’ordre dans une région aussi déchirée. Une sorte de grand écart entre l’intérêt religieux et l’intérêt politique…
C’est précisément cette contradiction que dénoncent leurs principaux opposants, les Zélotes. À leurs yeux, accepter la présence romaine revient à se compromettre : il ne saurait y avoir de religion juive digne de ce nom dans un pays placé sous la domination de ces païens de Romains. Autrement dit, pas de compromis, mais la lutte pour l’indépendance. Mais voilà : même chez les radicaux, on en trouve toujours pour s’impatienter et passer à des moyens d’action plus radicaux. Au sein des Zélotes apparut un groupe d’individus bien décidés à aller plus loin.
Leur but ? Déclencher une guerre ouverte contre l’occupant romain. Le moyen ? La violence meurtrière. Les Romains ne tardèrent pas à les désigner du nom de leurs armes de prédilection, la sica – un petit poignard à lame courbe, en forme de défense de sanglier, idéale pour éventrer ou égorger sa cible. Les Sicaires sont nés.
Pharisiens, têtes de chiens
La spécialité des Sicaires n’était pas le meurtre à grande échelle comme le sera le 11-Septembre, 19 siècles plus tard. Difficile d’ailleurs d’y parvenir dans l’Antiquité, compte tenu de l’armement caractérisé par une remarquable absence d’explosifs. En revanche, leurs poignards, ces fameuses sicae sont idéales pour des assassinats ciblés.
En profitant des marchés, des regroupements, ou des fêtes religieuses, les Sicaires pouvaient s’approcher au plus près de leur victime et ne sortir leur poignard qu’au dernier moment. Les cibles de ces attentats étaient soigneusement choisies ; l’équipement et l’entrainement des soldats romains les rendant difficiles à atteindre, les victimes sont le plus souvent des Juifs fortunés connus pour commercer avec Rome, des partisans de la famille royale de Judée et surtout des Pharisiens, hommes de préférence des hommes aussi prestigieux à la notoriété aussi importante que possible. Tout ça pendant plus de 60 ans… Et en lançant parfois des rumeurs, comme celle qui attribuait aux Romains eux-mêmes certains de ces meurtres, histoire de révolter une population déjà apeurée.
Une fois la cible touchée, ne restait plus qu’à créer la panique en hurlant au meurtre devant le corps de celui que les Sicaires venaient de poignarder puis à se fondre dans la masse, ce qui compliquait salement leur arrestation. Et leur laissait le temps de planifier d’autres actions : incendies de récoltes, saccages de boutiques, prises d’otages…
La fin des Sicaires
La tactique fut efficace : la répression romaine eut comme principal effet de pousser une part de plus en plus large de la population à la radicalisation. L’atmosphère se fit irrespirable, les tensions entre Juifs et païens se multiplièrent jusqu’à ce qu’un incident mineur, en 66, dégénère à Césarée. Un cycle révolte/représailles/révolte s’enclencha, marquant le début de la Grande Révolte de Judée.
Face à cette situation, les notables juifs basculèrent dans l’opposition et tentèrent de reprendre en main la rébellion. Loupé : rapidement, les fanatiques prirent le contrôle de Jérusalem, assassinèrent les personnalités jugées trop tièdes, terrorisèrent tout le monde et se mirent à se trahir allègrement les uns les autres pour le contrôle de la ville avant de s’allier le temps de coller une ratatouille à la XIIe Légion, qui y laissera 5 500 hommes tout de même.
Après quatre ans de guerre, de répression et d’exécutions, l’essentiel des combats cessèrent en 69 sous le règne de Vespasien, avant que son fils Titus ne s’attaque aux dernières poches de résistance. La dernière citadelle dominée par les Sicaires, Massada, tomba après un siège particulièrement dur de plusieurs années.
En franchissant finalement les murailles, les Romains constatèrent que le fanatisme des Sicaires allait loin : après avoir flanqué le feu aux entrepôts, une large part d’entre eux s’était donné la mort plutôt que de se rendre – ou s’étaient plus probablement entretués, la Loi juive défendant formellement le suicide…
[1] Ironiquement, il désignait initialement la violence exercée par un État et non celle exercée contre lui. Celle de la France de la Terreur en l’occurrence.
[2] Qui s’appellent tous Hérode, c’est une horreur pour s’y retrouver.