Charleston 2015, Birmingham 1963

Un attentat raciste contre une très ancienne église en plein milieu d’une cérémonie religieuse, au cœur de la communauté afro-américaine : Charleston, la nuit 17 juin 2015 ? Oui – et aussi Birmingham, en 1963. 52 ans avant que Dylann Roof n’abatte neuf personnes la semaine passée, quatre jeunes filles étaient mortes pour avoir eu elles aussi le malheur de naître noires.

Sweet home, Alabama ?

Il ne faisait pas bon être noir dans le sud des États-Unis, dans les années 60. Depuis que le mouvement des droits civiques a commencé à se structurer au milieu des années 50, l’égalité des droits et la fin de la ségrégation avancent en terrain miné, porté par des personnalités comme Martin Luther King.

Oh, la lente évolution des mentalités commence bien à se traduire par des avancées concrètes au fil des décisions de la Cour Suprême ou de la Maison-Blanche. Mais le combat des partisans de la ségrégation prend toutes les formes possibles, des interminables procédures juridiques jusqu’à la violence sociale et un cadre institutionnel, souvent défendu avec acharnement par les pouvoirs public.

Dans certains États, en particulier dans l’ancien sud confédéré, les élus se mettent au diapason de leurs électeurs ; par calcul ou par conviction, ils sont souvent les premiers à entraver la marche vers l’égalité. Et en matière de lutte contre le racisme social et institutionnel, l’Alabama est le symbole par excellence de l’affrontement depuis qu’une certaine Rosa Parks a refusé, en 1955, de céder sa place à un passager blanc dans l’un des bus de la capitale de l’État, Montgomery.

Le retour du Klan

Au début des années 60, les agressions contre les Noirs américains se multiplient, spontanées ou organisées par des groupes racistes plus ou moins clandestins, dont le célèbre Ku Klux Klan, la principale et l’une des plus anciennes organisations suprémacistes blanches du pays. S’il a perdu de sa superbe au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, si ses costumes grandiloquents semblent relever d’un folklore aussi ridicule que les noms des « grades » de l’organisation[1], le KKK des années 60 reste encore solidement implanté dans certains États : il connaît même un regain d’activité dans le contexte tendu des Sixties, où beaucoup redoutent que les États-Unis marchent droit vers une guerre civile raciale. Résultat ? Non seulement les actions violentes contre la communauté afro-américaine se multiplient, mais les auteurs, quand ils sont retrouvés, s’en tirent souvent sans dommage ou avec une simple amende.

C’est à Birmingham, la plus grande ville d’Alabama, que le Klan décide de frapper un grand coup à la fin de l’été 1963. À l’aube du dimanche 15 septembre, plusieurs de ses membres placent discrètement une quinzaine de bâtons de dynamite sous l’escalier d’une église de la 16e rue, quelques heures avant la messe. Comme celui de l’église de Charleston la semaine dernière, le choix des membres du Klan ne doit rien au hasard : l’église, née en même temps que la ville, a été fondée au cœur de la communauté noire baptiste, particulièrement importante à Birmingham : un tiers de la ville est composée d’afro-américains. Pire encore aux yeux des assassins, elle réunit régulièrement des leaders du mouvement pour les droits civiques, à commencer par le pasteur King.

15 septembre 1963, 10h23

À 10h22, la jeune fille de 14 ans qui tient la permanence dans l’église reçoit un appel téléphonique. À l’autre bout de la ligne, une voix d’homme prononce deux mots (« trois minutes ») avant de raccrocher. Il n’en faudra qu’une : à 10h23, une explosion ravage l’église à l’instant où près de 80 jeunes filles descendent l’escalier pour aller passer dans le sous-sol leurs robes de cérémonie avant le sermon annoncé – « A love that forgives », un amour qui pardonne.

L’explosion, qui crée un cratère de près de deux mètres au sol et éventre la façade de l’église, secoue tout le bâtiment. Un automobiliste qui passe dans la rue est projeté hors de sa voiture par le souffle ; les vitres tombent dans tout le voisinage. Tout le bâtiment est secoué par la déflagration qui laisse un seul vitrail intact. À quelques dizaines de mètres, près une palissade, un homme regarde le spectacle : Robert Chambliss, l’un des meurtriers.

Plus d’une vingtaine de personnes blessées par des éclats de verre, de métal et de bois, sonnées, en état de choc, sont progressivement prises en charge. Dans les décombres, on retrouvera les corps ravagés de quatre jeunes filles de 11 à 14 ans : Cynthia Wesley Carol Denise McNair[2], Carole Robertson et Addie Mae Collins. La sœur d’Addie, Sarah, sera retrouvée vivante, le visage traversé par 21 morceaux de verre. Les médecins ne sauveront qu’un seul de ses yeux.

Près de 4 000 personnes assisteront à l’enterrement de trois des quatre jeunes filles assassinées, le 18 septembre.

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L'église de la 16e rue aujourd'hui. La bombe était placée sous les escaliers qu'on voit au premier plan. 

Enquête bloquée

Les circonstances de l’explosion choquent la nation – cette fois-ci, des enfants sont mortes, qui plus est un dimanche, à quelques minutes du début de la messe. Un peu partout, des marches de protestation s’organisent, mélangeant souvent Blancs et Noirs.

À Birmingham pourtant, les premiers résultats de l’enquête désespèrent la communauté afro-américaine. Deux semaines après l’attentat, trois hommes sont arrêtés dont Robert Chambliss, membre notoire du Klan qui entretient d’excellents rapports avec la police. En dépit des preuves recueillies, les tribunaux condamnent Chambliss à… 100 dollars d’amende et six mois de prison avec sursis pour un seul délit : avoir transporté de la dynamite.

À l’échelle du pays, le scandale est considérable. Sous pression, le FBI reprend l’enquête et accumule des preuves décisives contre quatre membres du Klan : Chambliss, donc, Edwin Blanton, Hermann F. Cash et Bobby F. Cherry. Autant de preuves qui ne seront jamais utilisées : après avoir fait trainer l’enquête pendant cinq ans en invoquant des problèmes de liaison avec la police locale, le directeur du FBI, John Edgar Hoover, mettra personnellement fin à l’enquête de ses services.

no more Birminghams

Des accusés jugés en … 2001

L’enquête reprend pourtant en 1970 avec l’élection d’un procureur particulièrement tenace, William Baxley qui tirera au passage profit de la mort de Hoover en 1972. Au terme d’un bras de fer de 6 ans avec le FBI, Baxley obtient enfin l’accès aux dossiers du Bureau – de quoi poursuivre et faire condamner Robert Chambliss à perpétuité en 77, quatorze ans après l’attentat.

Pour les autres assassins, la justice fut encore plus longue. Baxley battu aux élections suivantes, ce n’est qu’en 2001, 38 ans après la mort des quatre adolescentes, que s’ouvrit enfin le procès de deux derniers accusés – deux seulement : Herman Frank Cash est mort de sa belle mort entre temps. Libre.

Thomas Blanton et Bobby Frank Cherry continuèrent de vivre tranquilles jusqu'en 2001 où ils furent enfin inculpés et condamnés à perpétuité. Sur les écoutes réalisées à son insu et à son domicile, on entend à plusieurs reprises Blanton dire que «personne ne l'arrêtera quand il ira faire exploser sa prochaine église».

Le FBI disposait de ces bandes depuis 1964.

[1] Le chef de l’organisation, l’Imperial Wizard, s’entoure de chefs locaux désignés comme les Grands Dragons qi encadrent eux-mêmes les actions d'une tripotée de Titans et de Cyclopes Éminents (si).

[2] La jeune fille, âgée de 11 ans avait comme amie et camarade de classe, une certaine Condoleezza Rice, future Secrétaire d'Etat de l'administration Bush.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu