Jeanne d’Arc, mode d’emploi

Chaque 1er mai, il n’y a pas que les syndicats pour battre le pavé parisien. Et chaque année, c'est la même chanson : le jour de la fête du travail, le Front national organise une célébration généralement très politique devant la statue de Jeanne d’Arc, à Paris. L’occasion rêvée de revenir sur quelques détails parfois méconnus de l’histoire d’une jeune femme à part, et sur un sujet toujours brûlant [1].

Jeanne d’Arc n’a jamais prétendu entendre la voix de Dieu

Eh non. La légende d’une Jeanne taillant le bout de gras avec Dieu lui-même est en grande partie due à une série de films de qualité variable, à commencer par le long-métrage de Luc Besson qui provoque des crises de fou rire et/ou d’urticaire chez n’importe quel médiéviste. Les voix qu’aurait entendues la jeune Jeanne dans le jardin de son père, à l’âge de 13 ans, sont celles de deux saintes, Catherine et Marguerite, et d’un archange, saint Michel. Les trois voix l’invitent à se montrer pieuse, à libérer le royaume de France et à mener Charles VII au sacre, à Reims. Une paille.

Charles VII ne l’a pas accueillie à bras ouverts

Là encore, l’image est connue : Jeanne, avec sa coupe de Beatles, accueillie dans une grande salle de cérémonie, devant toute la cour, identifiant un Charles VII pourtant dissimulé dans la foule après avoir demandé à un de ses compagnons de jouer son rôle… Le hic, c’est que ce poncif est hautement improbable. En réalité, Charles VII a fait lanterner la jeune fille deux jours avant d’accepter de la recevoir, en privé et certainement pas en public. Avant de l’expédier tout droit devant une sorte de comité d’experts, en l’occurrence des ecclésiastiques qui éprouvent la foi de la jeune femme et font vérifier qu’elle est bien vierge – et pas « pucelle » : le terme, à l’époque, désigne toutes les jeunes femmes. On a déjà vu plus chaleureux, comme accueil.

Personne ne sait à quoi elle ressemblait

Le seul portait contemporain de Jeanne figure en haut de ce billet et on le doit à un greffier du Parlement de Paris qui n’avait manifestement pas son modèle sous les yeux, puisqu’il attribue à Jeanne des cheveux longs et une robe. Jeanne avait une coupe au bol et s’habillait en homme – c’est même ce qui lui sera reproché à son procès. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle était probablement brune : un de ses cheveux lui a servi à authentifier le sceau d’une lettre de sa part.  Elle devait aussi être sacrément résistante, au vu de son comportement au combat, et quelques témoignages d’époque évoquent une jeune femme assez grande pour son temps.

On l’a brûlée trois fois

« Schismatique, apostate, menteuse, devineresse, suspecte d'hérésie, errante en la foi, blasphématrice de Dieu et des saints », rien que ça : au terme de son procès, Jeanne est condamnée à mort par le tribunal du célèbre évêque Cauchon et par des juges rouennais léééégèrement sous influence anglaise. Elle sera brûlée vive le 30 mai 1431. Mais ce bûcher, c’est encore trop peu pour les autorités anglaises, qui souhaitaient frapper les esprits et éviter à tout prix que ses restes deviennent des reliques. Il ne doit rien rester de Jeanne, qui fut pendant sa brève carrière militaire l’enjeu d’une lutte inouïe de propagande entre les camps français et anglais. Et la brûler comme sorcière, c’est faire de Charles VII un roi mené au sacre par une servante du Diable lui-même…

Mais voilà, Jeanne a toujours des partisans. D’où la demande du cardinal de Winchester qui exigea que Jeanne soit brûlée à trois reprises. Le premier bûcher, allumé vers 9 heures du matin, provoqua sa mort, probablement par intoxication plus que dans les flammes : les Anglais avaient repoussé les fagots pour que chacun constate que c’est bien Jeanne que l’on brûlait. Le deuxième bûcher dura des heures et consuma le cadavre de Jeanne. Il fallut une troisième crémation pour qu’il ne reste plus que quelques cendres et débris d’os qu’on jeta dans la Seine en fin d’après-midi, sous l'actuel pont Boieldieu.

Elle a été réhabilitée

En 1455, à la demande de la mère de Jeanne, le procès religieux est rouvert. Le contexte politique a changé et « Jehanne la bonne Lorraine qu’Englois brulerent à Rouan », pour citer Villon, sera lavée de tout crime contre la foi chrétienne. Le premier jugement est annulé pour « corruption, dol, calomnie, fraude et malice ». Bien plus tard, en 1920, Jeanne sera même canonisée, 489 ans après son exécution.  

Il y a eu de fausses Jeanne d’Arc

Il y en a même eu une tripotée, toutes affirmant avoir échappé à des Anglais qui n’auraient brûlé à Rouen qu’un malheureux sosie. La plupart de ces jeunes femmes furent rapidement démasquées, quelques-unes parvinrent à faire durer la légende d’une Jeanne miraculée. Le cas le plus célèbre est celui de Jeanne des Armoises, une jeune femme de la région de Metz qui se présenta cinq ans après l’exécution comme la véritable Jeanne, profitant d’une vague ressemblance physique – on prétend même que les frères de la Pucelle la reconnurent…

L’arnaque fonctionna suffisamment pour lui permettre d’épouser un noble, Robert des Armoises. La ville d’Orléans, persuadée d’avoir retrouvé « sa » Jeanne, interrompit les services funèbres qu’elle organisait chaque année en mémoire de la Pucelle. Mieux : le conseil de la ville lui offrit 210 livres pour la remercier « du bien fait à la ville pendant le siège ». Il fallut une enquête du Parlement de Paris pour que la vérité éclate en 1440.

Le FN célèbre sa mémoire n’importe comment

N’en déplaise au Front national, qui célèbre chaque 1er mai à Paris la mémoire de la Pucelle d’Orléans, cette date relève du n’importe quoi commémoratif le plus chimiquement pur. Que commémore le FN ce jour-là ? Pas la mort de Jeanne, la jeune fille ayant été exécutée le 30 mai 1431. Pas non plus la libération d’Orléans, qui date du 8 mai 1429. La vraie raison est plus prosaïque : le 1er mai est une date bien commode pour parasiter les manifestations liées à la Fête du travail et bénéficier au passage d’un coup de projecteur des médias. Une commémoration détournée, placée à une date qui n’a aucun sens : pour un parti qui ne cesse de vanter son attachement à l’histoire de France, c’est mignon.

Bonus track

Romans, chansons, opéras, mangas, peintures, jeux vidéo, vitraux… La postérité artistique de Jeanne d’Arc est d’une densité qui rend tout recensement impossible : rien qu’en France, on compte environ 20 000 statues de la Pucelle… En musique, Jeanne a inspiré bien du monde, de Leonard Cohen à Laurent Voulzy ou Madonna.

Oh, et un groupe de power metal italien, Thy Majestie. Parfaitement.

D’ailleurs, je leur laisse le mot de la fin.

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[1] Pardon.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu