Du Bismarck au Musashi : l’histoire de deux monstres marins

En retrouvant au large des Philippines la carcasse du Musashi, le plus grand et le mieux armé des cuirassés de l’histoire, le cofondateur de Microsoft Paul Allen a réalisé le rêve de tout chasseur d’épave qui se respecte. Il a aussi réédité l’exploit de l’océanographe Robert Ballard, découvreur du Bismarck en 1989. Retour sur deux navires aux destins croisés.

Deux des plus puissants navires jamais construits…

À ma droite, le Bismarck, en service actif à partir d’août 1940. 251 mètres de long, 16 000 kilomètres d’autonomie, une vitesse maximale de 57 km/h et – entre autres friandises – 8 canons de 380 millimètres[1], capables d’envoyer des obus de 800 kilos à 35 kilomètres. Bref : le fleuron de la Kriegsmarine nazie.

Musashi

Le Musashi

À ma gauche, le Musashi, opérationnel en août 1942.  263 mètres de long[2], 13 300 kilomètres d’autonomie, 50 km/h en vitesse de pointe et (toujours entre autres) 9 canons capables d’expédier dans les gencives ennemies des pruneaux de 460 mm tout de même, soit les canons les plus puissants jamais montés sur un navire de guerre. Bref : le fleuron de la marine impériale japonais. Et le cuirassé le plus puissant de l’histoire.

On est assez loin des bateaux mouches.

… Aux fins tragiques

Une torpille pour un géant

Mai 1941. Depuis bientôt un an, l’Angleterre lutte à peu près seule face à l’Allemagne nazie. Une part de son destin se joue sur mer où sa flotte, bien que vieillissante, l’emporte encore en puissance globale sur la Kriesgmarine hitlérienne. D’où la stratégie mise en œuvre par le pouvoir nazi : le harcèlement des convois anglais.

Les Anglais repèrent le Bismarck alors qu’il croise près des côtes de Norvège et lui organise aussitôt un accueil des plus chaleureux en envoyant à sa rencontre une tripotée de navires plus ou moins puissants – et deux cuirassés, le tout neuf Prince of Wales et le Hood, un navire déjà ancien mais adoré des Britanniques.

L’orgueil de la Royal Navy, en somme.

Eh bien l’orgueil de la Royale Navy se prend une tatouille d’anthologie : la nuit du 23 au 24 mai, le malheureux navire reçoit une salve expédiée par les terribles canons du Bismarck. Un seul obus traverse le blindage anglais, mais c'est pour arriver comme une fleur pile au milieu de 112 tonnes de cordite - de la poudre, en gros. Pulvérisé, le Hood coule en trois minutes montre en main. Il y aura trois survivants pour un équipage de 1 419 marins.

Cela étant, l’histoire montre qu’il ne vaut mieux pas énerver les Britanniques en mer. Churchill décide de consacrer tous ses moyens aéronavals à la traque d’un Bismarck d’ailleurs lui aussi touché pendant le combat. Il lui envoie notamment ses escadrilles de Swordfish, de vieux biplans torpilleurs. Avec un succès d'abord relatif : la météo est catastrophique et les pilotes, peu expérimentés manquent même de couler un navire... anglais, dans la confusion.

Mais le 26 mai, l’un de ces vieux coucous réussit à s’approcher assez près et lâche une malheureuse torpille sur la droite du Bismarck. La suite rappelle le tir de Luke Skywalker sur l’Etoile Noire : alors qu’il n’y a pas une chance sur mille que le tir fasse mouche, l’axe du gouvernail allemand est pulvérisé et la barre bloquée. Impossible de réparer : l’immense navire ne peut plus que tourner en rond…

Il faudra encore deux jours aux Anglais pour couler le monstre, qui va littéralement subir un déluge de feu : plus de 2 800 obus de tous calibres lui tombent sur la courge entre une heure et demie, avant que trois torpilles ne viennent achever son calvaire – encore est-il probable que quelques marins allemands aient accéléré l’agonie en sabordant le bâtiment.

Par la suite, la marine allemande pariera plus ses sous-marins que sur ses bâtiments de surface pour harceler l’Angleterre…

Le mastodonte inutile

Les 114 rescapés du Bismarck (sur 2400 hommes) purent au moins se consoler en songeant qu’ils avaient remporté une victoire avant d’être coulés à leur tour. Ce n’est pas le cas du Musashi : conçu comme le Yamato, son jumeau, pour défendre l’empire japonais devant une flotte américaine qui avait largement repris du poil de la bête depuis Pearl Harbor, le cuirassé se retrouva pris au cœur de la bataille du golfe de Leyte, au large des Philippines, en octobre 1944.

Restée célèbre pour avoir vu les premiers kamikazes se jeter sur les navires américains, cet épisode majeur de la guerre du Pacifique vit aussi sombrer le plus grand navire du monde. Au tout début de cette immense bagarre qui dura plus de quatre jours, le cuirassé japonais subit de plein fouet le bombardement de la Task Force 38 : 260 avions partis des porte-avions américains se succèdent en plusieurs vagues. Pris à la gorge, le Musashi, touché par 18 bombes lourdes et 20 torpilles, finit par sombrer sans jamais avoir eu la moindre opportunité de s’échapper ou même de riposter. 1023 marins y laissèrent la vie, soit un tiers de l’équipage.

Le Bismarck aura navigué moins de 11 mois, le Musashi  deux fois plus à peine. Au-delà de leur impact tactique, ces deux naufrages symbolisent la fin d’une époque : l’âge d’or des cuirassés était passé, celui des sous-marins et des porte-avions pouvait commencer.

De 1989 à 2015 : histoires d’épaves

En annonçant sur ​​Twitter qu’il avait retrouvé le Musashi, photo de l’épave à l’appui, le milliardaire Paul Allen a fait sensation. Sous réserve qu’elle soit confirmée par d’autres éléments, cette découverte serait avec celle de l’Erebus en novembre dernier l’une des plus frappantes de ces dernières années. Et la trouvaille du cofondateur de Microsoft rappelle fortement celle de Robert Ballard : en 1989, l’océanographe américain localisa par 4800 mètres de fond l’épave du Bismarck dont il ne communiqua les coordonnées qu’à l’Allemagne, laissant à cette dernière le soin de décider des suites à donner à cette découverte.

Cela dit, il reste encore un peu de boulot à Paul Allen pour égaliser dans le domaine relativement spécialisé de la recherche de gros bateaux tout cassés. Avant de retrouver le Bismarck, Ballard avait retrouvé l’épave d’un autre monstre des mers, naufragé par une nuit du printemps 1912 dans l’Atlantique nord.

Un certain Titanic.

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[1] Ça n’a l’air de rien, jusqu'au moment on réalise qu'il s'agit du diamètre des obus, pas de leur longueur…

[2] C’est à deux mètre près la taille du Charles de Gaulle, ce qui fait du Musashi un cuirassé grand comme un porte-avion moderne.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu