La tentation sécuritaire : retour sur deux précédents

Quelques jours à peine après les attentats des 7 et 9 janvier, des voix s’élèvent pour réclamer un renforcement de l’arsenal pénal et juridique. Et c’est loin d’être la première fois : dans la foulée des grands attentats, les plus frappants ou les meurtriers, les pouvoirs publics ont systématiquement réagi par un durcissement du cadre juridique et pénal – au prix parfois de quelques sérieuses atteintes aux libertés. Retour sur deux cas emblématiques.

 

1 1835 : machine infernale et libertés suspendues

  L’attentat

28 juillet 1835, boulevard du Temple à Paris. C’est le 5e anniversaire de la Révolution de Juillet ; Louis-Philippe se rend aux Tuileries pour passer en revue la Garde nationale en grandes pompes. Il est accompagné de ses petits-enfants, de la moitié de ses ministres et de quelques personnalités. Quand soudain, pan. Enfin même PAN PAN PAN : c’est fusillade de tous les diables qui éclate depuis la fenêtre où s’est planqué Giuseppe Fieschi. Il a vu grand, il faut dire : sa « machine infernale » regroupe… 25 canons juxtaposés. L’ensemble ressemble à un large peigne mal ficelé, mais la détonation est meurtrière : 11 morts, 42 blessés – dont 7 ne survivront pas.  Le roi et sa famille sont indemnes ou presque, le roi s’en tirant avec une simple estafilade sur le front. Paris vient de vivre l’un des attentats les plus sanglants de son histoire. Fieschi ? Blessé par ses propres flingots, il est cueilli par les flics et guillotiné six mois plus tard.

Les lois

Le Patriot Act américain fut voté en 45 jours après le 11-Septembre. La France fait mieux : 12 jours tout juste après l’attentat, la réponse juridique tombe, voulue par Thiers, lors ministre de l’intérieur. Le 9 septembre, les trois lois « lois de septembre », particulièrement sévères, sont votées. Elles limitent les droits des suspects et réforme la procédure des assises : désormais, une majorité simple (7 voix contre 5, au lieu de 8 contre 4 précédemment) suffisent pour faite tomber les têtes.

Surtout, la censure s’installe : la troisième loi interdit tout débat sur le roi, la dynastie ou la monarchie constitutionnelle. Discuter de République devient impossible : l’État estime la presse républicaine, par ses attaques incessantes contre la personne du roi, a préparé le terrain à l'attentat. On invente de nouveaux délits : le blâme adressé au roi, l'attaque contre les principes de la Charte (la Constitution), l'acte public d'adhésion à un autre type de régime …Toute critique, toute remise en cause est interdite sous peine de … eh bien de lourdes peines. Les journaux n’ont plus le droit de rendre compte des procès pour outrage ou injures au roi, dans le but de ne pas répandre la critique et agiter l’opinion. Tous les dessins – enfin les gravures, les estampes, les lithographies… - sont soumis à autorisation du ministère de l’Intérieur avant publication. Et on tape au portefeuille : les amendes réservées aux journaux contrevenants sont inouïes. Une bonne quarantaine de journaux républicains resteront sur le carreau.

Et ça marchera tellement bien que Louis-Philippe échappera encore de justesse à… 6 tentatives d’attentat avant la fin de son règne.

2Bombe à la Chambre, loi scélérate

L’attentat

La fin du 19e siècle, en France, se caractérise sur un plan politique par l’émergence d’un anarchisme qui prend parfois le chemin de la violence, les actes de Ravachol en témoignent. Précisément pour venger la mort de ce dernier, guillotiné en 1892 qu’Auguste Vaillant se présente à la Chambre des Députés par un beau matin, le 9 décembre 1893 – et balance une bombe depuis les tribunes, au beau milieu des députés.

Les terroristes modernes n’ont rien inventé : l’engin est truffé de clous et de morceaux de zinc ou de plomb qui volent en tous sens. Par miracle, personne n’en meurt, mais on compte une cinquantaine de blessés, dont Vaillant lui-même, qui survit pourtant. Il survivra nettement moins au couperet de la guillotine qui le coupe en deux segments non égaux, au début de 1894.

Les lois

Le coup est passé près, et les députés n’ont sans doute plus l’esprit tout à fait serein quand ils décident de voter successivement trois lois entre 1893 et 1894 – toute l’Europe, d’ailleurs, durcit ses lois pour réprimer le mouvement anarchiste, l’Allemagne de Bismarck en tête. Et quand il s’agit de contrôle, la République ne fait guère de différence avec la monarchie.

Deux jours ( !) à peine après l’attentat, une première loi vient sérieusement entamer la liberté de la presse garantie par la loi de 1881. L’apologie de la violence est interdite, on invente la saisie et l’arrestation préventive des suspects. 413 voix contre 63

Le 18 décembre, 9 jours après l’attentat, deuxième vote en urgence : elle concerne les associations de malfaiteurs - les groupes anarchistes, de fait. Elle punit des travaux forcés à perpétuité toute entente visant à accomplir un acte délictueux… que cet acte soit ou non effectué ! Elle augmente au passage les crédits de la police et permet de flanquer en cabane n’importe quel membre et jusqu’aux simples sympathisants. Et encourage la délation des prévenus, à qui on promet des exemptons de peine si elles balancent leurs camarades.

La troisième loi « ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes » attendra sept mois mais vise cette fois directement les anarchistes, en juillet 1894, en leur interdisant tout type de publication. Conçue en réponse à l'assassinat de Sadi Carnot le 24 juin 1894, elle cloue le bec de la presse  et de l'opinion en réprimant toute forme de propagande, anarchiste ou non d'ailleurs. Des journaux comme Le Père Peinard, souvent saisis, sont désormais interdits de publication.  Une chasse aux anar’, fussent-ils doux comme des agneaux, commence, brutale et sans nuance. Les clochards et les vagabonds, en particulier, font des boucs émissaires commodes. La loi de 1894 sera abolie en… 1992.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu