Où un jeu vidéo se retrouve accusé de ne pas être un bon manuel historique

C’est la nouvelle tendance du moment au sein d’une partie d'un personnel politique qu'on pourrait - bien naïvement - croire en mal de visibilité médiatique : démolir le nouvel opus de la série des Assassin’s Creed, AC Unity, coupable de présenter la Révolution française sous un jour bien peu favorable au peuple. Alexis Corbière, puis Jean-Luc Mélenchon, se sont risqués à cet exercice.

Drôle d’idée, drôle de critique surtout pour ce qui reste une œuvre de fiction historique à laquelle personne d’un tantinet honnête n’aurait l’idée, je crois, d’attribuer une mission pédagogique, placée sous le regard sévère d’historiens rigoureux. Le jeu vidéo Assassin’s Creed Unity est un jeu. Pas un cours fondamental. On peut ne pas l’aimer, le critiquer, mais rien n’interdit de le faire intelligemment au lieu de lancer d’absurdes débats. Et de tenter de profiter du sillage médiatique laissé par un des jeux les plus attendus de l’année.

Signalons au passage à Jean-Luc Mélenchon que l’un des épisodes précédents de la série comprenait un épisode baptisé « Le Roi Washington » dans lequel le fondateur des États-Unis décidait de s’attribuer la couronne et transformait les 13 colonies des origines en monarchie autoritaire. Je tiens à rassurer Jean-Luc Mélenchon : Ubisoft est au courant que ce scénario ne correspond à aucune réalité.

Et les joueurs avec.

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Lorsqu’Alexandre Dumas écrit Les Trois Mousquetaires, il ne prétend pas donner un cours d’histoire – croyez-moi, il sait pertinemment que le véritable d’Artagnan n’a jamais sauvé la Reine de France d’un complot ourdi par Richelieu. Lorsque les scénaristes de (l’excellente) série Rome racontent l’histoire de deux soldats romains qui ont vraiment existé, ils ne prétendent pas davantage faire œuvre de pédagogie. Et je tiens de Raymond Aubrac lui-même une révélation : non, il n’avait pas réellement pris le temps d’embrasser sa femme dès sa sortie du fourgon, le jour de l’évasion racontée dans le Lucie Aubrac de Claude Berri. Tous deux avaient surtout pris le temps de sauver leur peau en se carapatant le plus vite possible, et sans BO. Le reste s’appelle la fiction.

Ce que Jean-Luc Mélenchon, comme Alexis Corbière, pensent ou font mine de penser relève d’une sorte de pensée magique. Ce serait à la fiction de remplir une mission pédagogique de transmission de la mémoire – de telle ou telle mémoire, du moins : délicat d’imaginer sujet plus brûlant que la vision historique d’une Révolution française où chacun finira toujours par trouver ce qu’il y cherche.

C’est faux. Un jeu vidéo est destiné au jeu. L’histoire s’enseigne dans les amphithéâtres, les salles de cours, les bibliothèques et les ouvrages, auprès de scientifiques, de chercheurs et d’enseignants dont c’est le métier. Tout ce que peuvent faire les auteurs de films, de séries, de livres ou de jeux, c’est contribuer à alimenter le goût d’un public pour l’histoire. Ceux que ça tente iront creuser. Qu’on foute la paix aux autres, ils ne sont pas là pour ingurgiter une leçon et se faire ensuite interroger par un professeur Mélenchon qui en profiterait au passage pour engueuler les auteurs du manuel.

Assassin’s Creed n’est pas là pour enseigner l’histoire de la Révolution, pas plus que Pong n’était conçu pour enseigner le tennis de table. Les jeux de la série, situés dans une succession d’univers dont la qualité a été suffisamment saluée depuis près de dix ans pour qu’on ne s’y attarde pas, sont des fictions historiques. C'est le mot fiction qu'il s'agirait de ne pas oublier.

Après le temps des croisades, la Constantinople médiévale ou la piraterie dans les Caraïbes - qui avaient laissé Jean-Luc Mélenchon de marbre - c'est la Révolution qui devient un décor. Si des joueurs apprennent certaines choses, si jouer à Unity les pousse à ouvrir un bon ouvrage d’historien sur la Révolution, fort bien – mais ce n’est ni le but, ni la mission du jeu. Comme ce n’est pas celle de Moby Dick d’enseigner l’économie de la chasse à la baleine autour du Nantucket des années 1840.

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Plus qu'une légitime inquiétude de pédagogue averti, les propos de Jean-Luc Mélenchon – et dans une moindre mesure ceux d’Alexis Corbière – traduisent en réalité le vieux mépris, doublé de méconnaissance, de nombreux politiques pour le monde du jeu, une fois de plus réduit à incarner le rôle d’épouvantail naguère tenu par le jeu de rôle, la musique metal, le cinéma, le rap ou Dieu seul sait quoi. Oh, il ne pervertit pas la jeunesse et n'enseigne plus le culture du diable, non, mieux que ça : "il instille davantage de dégoût de soi et de déclinisme aux Français" et "si l'on continue comme ça, il ne restera plus aucune identité commune possible aux Français à part la religion et la couleur de peau ».

Tout cela est bien excessif, surtout sur la foi d’une simple… bande-annonce – puisque Jean-Luc Mélenchon condamne un jeu auquel je suis bien prêt à parier qu’il n’a pas joué la moindre minute. Et pour cause : encore faudrait-il qu’il sache comment s’allume un PC ou une console.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu