Il y a des lundis plus prometteurs que d’autres – et le lundi 11 novembre 1918 en fait partie. Ce blog était revenu l’an passé sur le déroulé de cette journée devenue rapidement l’une des dates incontournables de la mémoire collective. Assez marquante pour devenir un symbole sous l’Occupation allemande, 25 ans plus tard. Retour sur les événements tragiques du 11 novembre 1943.
D’un 11 novembre à l’autre
L’ambiance est plus que tendue à l’automne 43, dans la capitale du Dauphiné. Un an plus tôt, en 1942, le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord a provoqué l’invasion du sud de la France – la zone jusque-là dite libre, sous contrôle de Vichy – par les forces allemandes et italiennes. La France n’est plus coupée en deux, non : elle est occupée entièrement.
Proximité oblige, ce sont des troupes italiennes qui se sont installées dans Grenoble en novembre 1942 – le 11, d’ailleurs, jour anniversaire de l’Armistice. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les Grenoblois qui goûtaient déjà fort peu l’arrivée de troupes ennemies n’avait pas franchement apprécié le symbole. Reste qu’à tout prendre, l’occupation italienne reste tolérable ; la plus grande ville d’Isère reste sûre pour ses habitants comme pour les Juifs venus s’y réfugier au cours des années précédentes.
En 1943, tout change. L’Italie, envahie par les troupes alliées, déchirée, a signé un armistice avec les Alliés, le 3 septembre. Il ne faut pas cinq jours pour que les troupes allemandes arrivent en force à Grenoble (15 000 hommes en tout, sur Grenoble et la région) – et l’occupation se durcit. Mais alors salement : les Allemands considèrent que la ville est truffée de résistants et de maquisards – et ils n’ont pas tort. Dès 1940, Grenoble et sa région sont devenus l’un des hauts-lieux de la Résistance : réfractaires au Service du Travail Obligatoire refusant de partir travailler en Allemagne, universitaires, journalistes, étudiants… ont organisé et alimenté les maquis environnants, à commencer par celui du Vercors, le premier de France.
Grenoble, la petite Russie
Les Allemands ne sont pas à la fête, à leur arrivée. Les Alpes les inquiètent d’autant plus que la BBC ne cesse d’évoquer la force de la résistance locale, parle de dizaines de milliers de jeunes prêts au combat et décrit Grenoble comme la capitale du maquis. Au point d’amener les Allemands à parler de la région de « la petite Russie » en référence à la dureté inouïe des combats du front est. Ils réagissent à cette menace larvée par un étalage de puissance. La Gestapo s’installe à Grenoble, suivie d’un service d’espionnage, le SD, et de ses commandos d’intervention qui partent à la chasse aux résistants. Dès le 1er octobre, les premières rafles de Juifs commencent. Le 6 octobre, un 1943, un ingénieur est abattu. Au même moment, le siège de la Milice française est mitraillé. Partout dans la région, les actions coup-de-poing et les assassinats ciblés de soldats allemands et de collabos se multiplient.
Le défilé interdit
C’est dans ce contexte qu’autour du 4 novembre, la Résistance fait circuler un appel à manifester pour commémorer les 25 ans de l’Armistice de 1918 – autant vous dire que l’état-major allemand apprécie moyennement l’idée de se faire rappeler la gamelle de 14-18 et que toute commémoration de la victoire de la Grande Guerre est formellement interdite depuis 1940.
A Grenoble pourtant – comme à Oyonnax où les maquisards défileront même dans les rues de la ville ce même jour -, 1500 personnes environ se rassemblent au matin du 11 novembre 1943, alors que toute la ville est en grève. De tous âges – il y a beaucoup d’enfants, de femmes –, de toutes les classes sociales et de tous les quartiers de la ville. Parmi elles, le résistant et futur historien Marc Ferro, âgé de 19 ans cette année-là.
Bloqué par la Milice, le cortège se met pourtant en mouvement aux accents de la Marseillaise – interdite aussi, ça va de soi - et atteint un lieu élevé à la mémoire des chasseurs alpins tués en 14-18, le monument des Diables Bleus. Ils ont à peine le temps de déposer une gerbe qu’une fusée part dans le ciel ; c’est le signal : des soldats allemands encerclent la foule, parquée dans un terrain vague voisin jusqu’au soir. Ils laisseront partir les femmes et les enfants de moins de 16 ans mais 600 des 1500 manifestants sont interrogés, expédiés dans les jours suivants à Compiègne. De là, 369 partiront en camp de travail ou en camp de concentration – Auschwitz, en l’occurrence. Tous ont moins de trente ans. 102 seulement reviendront vivants.
La répression se fera d'autant plus dure au cours des semaines suivantes que le 11 novembre aura été une forme de coup d'envoi : les attentats du maquis se multiplient, et deux gros dépôts de munition partiront en fumée. On parlera de la « Saint-Barthélemy grenobloise » pour décrire cette période où les principaux chefs de la résistance locale tombent sous les balles des allemands ou des collaborateurs : 11 meurtres en tout entre le 25 et le 30 novembre.
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« Ville héroïque à la pointe de la résistance française et du combat pour la libération. Dressée dans sa fierté, a livré à l'Allemand, malgré ses deuils et ses souffrances (…) une lutte acharnée de tous les instants. Bravant les interdictions formulées par l'envahisseur et ses complices, a manifesté le 11 novembre 1943, sa certitude de la victoire et sa volonté d'y prendre part. (…) A bien mérité de la Patrie. »
- Texte du décret du 4 mai 1944 accordant à la ville de Grenoble, dans son ensemble, le titre de Compagnon de la Libération