Bien malin qui peut dire si Nicolas Sarkozy retrouvera l’Elysée dans trois ans, après avoir promis on ne peut plus clairement qu’on ne le reverrait plus en cas de défaite. N’en doutons pas : cultivé comme on le connaît, il sait que d’autres avant lui ont réussi plus improbable. A commencer par Alcibiade, auteur du comeback le plus improbable de l’histoire.
Athènes vs. Sparte, le derby de la Méditerranée
Bienvenue en - 415, en Grèce. Depuis des années, Athènes se met joyeusement sur la gueule avec Sparte, soit directement, soit par un jeu d’alliances croisées entre cités à vous écœurer un historien. Chacune prend alternativement l’avantage sur l’autre, au prix de quelques milliers de morts à chaque fois. En 415 en l’occurrence, l’heure est officiellement à la trêve, officieusement aux coups en vache sous la table. Alcibiade est alors un chef militaire d’une trentaine d’année, particulièrement gâté des Dieux : très beau, très noble, très riche, très courageux, doué d’une intelligence invraisemblable et du sens moral d'un fennec affamé. A l’été 416, il exhorte l’Assemblée à ne pas attendre la fin de la trêve pour aller emmerder du Spartiate. Convaincant, il prend la tête d’une vaste expédition athénienne en Sicile.
Sacrilèges en série
Le hic, c’est qu’il part dans une ambiance délétère, née d’un double scandale religieux : ses ennemis l’accusent d’avoir parodié les mystères du culte d’Eleusis et d’avoir joué un rôle dans la destruction des statues d’Hermès – deux sacrilèges. L’affaire prend un vilain tour judiciaire et les ennemis politiques d’Alcibiade se font une joie de lancer une campagne de diffamation probablement très, très exagérée. Le jeune stratège fait bien tout ce qu’il peut pour exiger la tenue d’un procès avant le départ des navires grecs, mais ses opposants parviennent à repousser l’échéance. L’expédition part dans une atmosphère alourdie par les mauvais présages.
Sur sa route, Alcibiade apprend que le procès s’est finalement tenu pendant son absence et qu’on... l’a condamné à mort par contumace, tout simplement. Invité à rentrer à Athènes pour s'y faire docilement zigouiller, il fait mine de se soumettre avant de fausser compagnie aux navires d’escorte. Athènes vient de se priver de son meilleur chef… Et le pire est à venir.
Trahison n°1
Pas franchement du genre à faire dans la demi-mesure, Alcibiade va tout simplement… passer à l’ennemi, en se mettant au service de Sparte pour plusieurs années. Il commence par lui donner tous les détails d’une l’expédition athénienne qu’il connaît bien, et pour cause : c’est lui qui l’a conçu. Sur ses conseils, un corps expéditionnaire spartiate part pour la Sicile et inflige la fessée du siècle aux Athéniens qui y laisseront 200 navires et 50 000 hommes, dont 12 000 Athéniens. De la belle ouvrage.
Trahison n°2
Manque de chance, Athènes reprend du poil de la bête dans les mois qui suivent, sur d’autres terrains. Sparte se met à sérieusement douter de la loyauté d’un Alcibiade qui se révèle un tout petit peu plus individualiste que le chat de gouttière moyen. Comme cette andouille ne trouve pas de meilleure idée, paraît-il, que de séduire la femme du roi de Sparte, Agis II, ça commence à sentir le roussi. Averti qu’Agis II a commandité son assassinat. Alcibiade n’attend pas de se faire punaiser contre une colonne par un quelconque nervi et file se mettre au service… des Perses, soit l’Empire qui était naguère encore l’ennemi juré de toute la Grèce.
En Asie mineure, Alcibiade va jouer un jeu complexe, principalement au service de sa gueule. S’il convainc le satrape Tissapherne ne favoriser ni Sparte, ni Athènes, c’est en faisant valoir que l’Empire perse a tout intérêt à laisser les deux grandes cités grecques s’épuiser dans des guerres internes. Mieux encore : il contacte discrètement Athènes pour leur proposer un choix étrange : la Perse serait prête à soutenir Athènes à une condition : que la cité abandonne son système démocratique.
Bien évidemment, les Athéniens repoussent cette idée avec horr… Ah non : le régime des Quatre-Cent s’installe à Athènes le 9 juin 411, lorsqu’une Assemblée sous haute pression se suicide en votant un décret qui supprime tous les outils de contrôle du pouvoir. Les citoyens les plus pauvres se font virer à coup de pompe dans le train et le pouvoir est confié « aux Athéniens les plus capables de contribuer par leur personne et par leur argent ». En gros, aux plus riches. La démocratie est morte, vive l’oligarchie.
Le culot monstre d’Alcibiade
Suit ce qui est peut-être le plus beau coup politique d’Alcibiade, si l’on veut bien mettre toute notion de morale à part : depuis la Perse, ce dernier fait savoir qu’il n’y a pas plus démocrate que lui, promis juré, et qu’il ne rêve que d’une chose : restaurer le régime précédent et rentrer enfin dans la cité de son cœur. Quatre mois plus tard, le régime des Quatre-Cent s’effondre et l’Assemblée rétablie vote le retour d’Alcibiade. Lequel minaudera encore quatre ans avant de revenir dans une ambiance triomphale, le temps de se racheter définivement une vertu en défonçant du Spartiate un peu partout en Méditerranée.
Résumons-nous : huit ans après l'avoir condamné à mort, la cité athénienne accueille à bras ouverts l’homme qui par sa trahison, lui a coûté la plus belle raclée militaire son histoire. L’homme qui n’a jamais été blanchi des accusations de sacrilège portées contre lui. L’homme qui s’est mis au service de l’ennemi héréditaire perse, provoquant la chute de la démocratie athénienne.
Monsieur l'ex-Président, vous pouvez le tenter : on a vu plus surréaliste.