Lors de l'intervention télévisée qui acte sa rupture avec l'exécutif, Arnaud Montebourg s'est comparé à Cincinnatus. Et honnêtement, ce n'était peut-être pas la référence la plus pertinente du siècle.
Qui était Cincinnatus ?
Un Romain. Pas d’aujourd’hui, au demeurant, puisque Cincinnatus a vécu entre le VIe et le Ve siècle avant notre ère, à Rome, alors une cité parmi d’autres dans une Italie qui n’est pas encore tombée sous sa domination. Du moins pour ce qu’on en sait – le détail de son existence réelle, à une date aussi ancienne, est connu par des sources plus qu’indirectes et le classe dans la catégorie des personnages devenus plus légendaires que réellement historiques.
Ce qui est certain, c’est que Cincinnatus à Rome incarne la dignité, le sens de l’honneur et du désintéressement, l’homme d’Etat noble et intègre par excellence.
Ah ? Mais il a fait quoi ?
Alors que Rome est dans une situation qu’on qualifierait techniquement de "merdier sans nom", le Sénat romain vient le chercher "nu et labourant" au fond de sa campagne où après une déjà longue carrière, il goûte un repos bien mérité en s’occupant de son domaine agricole.
Rome est alors en guerre contre la tribu des Eques, qui lui flanque dégelée sur dégelée, au point que la situation vire vraiment vilain. Les Sénateurs supplient Cincinnatus de reprendre le collier – ce qu’il fait. La tradition veut qu’en seize jours, Cincinnatus ait mis une grosse tatouille aux ennemis de Rome tout en remettant de l’ordre dans le fonctionnement civique et public de la ville.
Considérant que son devoir état rempli, le héros se serait alors retiré de la vie publique, fier du devoir accompli et sans plus chercher de récompense et d’honneur :
"Il déposa la dictature seize jours après l'avoir acceptée, et retourna cultiver son champ." - Aurelius Victor, Hommes Illustres de Rome
Pourquoi l’invoquer est un poil hors de propos
Sans faire injure au travail d'Arnaud Montebourg et de ses services, le moins qu'on puisse dire est que la situation économique française n'est pas particulièrement rétablie depuis son arrivée au gouvernement. Une nuance qui rend la référence un rien surréaliste : Cincinnatus avait réussi, lui.
Surtout, ce come back à l’antique n’est pas le seul et le second vaut son pesant de cacahuètes compte tenu de l’engagement d’Arnaud Montebourg qui oublie un peu vite qu’on ne compare pas les époques et les modèles historiques sans se prendre les pieds dans le tapis de l’anachronisme.
Patricien – la classe très très supérieure à Rome, dirons-nous pour aller vite – Cincinnatus est tout sauf le défenseur des intérêts du petit peuple – la plèbe. Bien au contraire, il n’a pas eu de cesse de privilégier les intérêts de sa classe, d’où l’ironie de le voir invoqué aujourd’hui par un responsable politique qui s’affiche très à gauche. Et ce second retour est précisément fatal aux intérêts plébéiens, puisque c’est pour mater une révolte emmenée par un certain Maelius qu’on vient à nouveau le chercher. Avec la même froide efficacité, Cincinnatus profite de ce rôle de dictateur – un titre, à Rome, et non un qualificatif politique – qui le soustrait au droit commun pour … faire commodément assassiner le malheureux Maelius au cours de son arrestation.
Bref, Arnaud Montebourg gagnerait à ne pas comparer l’incomparable, ou à relire son histoire de Rome.