Décidément, le vieux débat sur le retour de la blouse à l’école a comme un goût d’éternel retour : après Robert Ménard à Béziers, c’est maintenant une école de Toulouse qui réfléchit à imposer la blouse à l’école – de quoi ravir les lecteurs du Figaro, qui y voient un moyen de réduire les inégalités.
C’est oublier un tantinet trop vite que les inégalités sociales se voient par bien d’autres signes que les vêtements, à l'école. Mon propre grand-père était instituteur de cambrousse, dès les années 20/30 et jusqu’à la fin des années 60 – la belle époque de la blouse, donc, et des classes à la mode Guerre des Boutons. A lire la bonne quinzaine de cahiers de mémoires qu'il a laissé, non seulement les marqueurs sociaux, existaient et étaient largement aussi durs qu'aujourd'hui, mais les blouses n’avaient jamais eu comme rôle de les effacer, pour la bonne et simple raison qu’elles en auraient été bien incapables.
Non, les blouses n’étaient là que pour une seule chose, certes bien étonnante : remplir un rôle de blouse, à savoir protéger des tâches des mômes au temps des plumes et des encriers.
La blouse la plus sévère et la plus grise du monde n’empêchera jamais les enfants de se jauger/juger sur la base d’une coiffure, d’une attitude, d’un accent et d’un vocabulaire, d’une adresse, d’un quartier, d’une paire de godasses, de la voiture qui dépose les copains. Les gosses se classent les uns les autres par leurs noms, par l’apparence et les métiers des parents qu’on ne tarde pas à connaître – c’est un fait scientifique, une seule chose va plus vite que la lumière : l’information dans une cour de récré. Le nom (polonais ou italien du temps de mon grand-père), le prénom de chacun pèsent lourd. Les branches des lunettes portent un logo lourd de sens, comme la paire de godasses ou la marque du sac et du smartphone que traîne certains élèves dès la primaire. La griffe d’un jean ou d’un blouson ne sont que l’un des cent signes qui clignotent sur les écrans radars infiniment bien affûtés des enfants.
Alors une blouse, à quoi bon, quand la lecture sociale est faite d’une infinité de signes que les parents, ces mêmes parents qui réclament des blouses un peu vite, sont les premiers à interpréter ? Dont ils font bien souvent la base du jugement qu’ils portent sur les autres ? Une blouse à quoi bon, quand tous les anciens témoignages en sont la preuve, la blouse elle-même devient très vite un vêtement lui-même connoté ? Quel rapport entre la blouse fatiguée, cent fois reprisée, héritée du grand frère et les blouses flambantes neuves des ménages les plus riches ?
La blouse est un bien pauvre cache-misère.La réponse n’est pas là, dans je ne sais quel fantasme d’un temps rêvé, d’une école d’avant, à la Pagnol – lequel est le premier à témoigner de son bouquin de l’inégalité de la blouse du riche face à celle du pauvre, d’ailleurs. Elle est dans ce que les parents transmettent en matière de jugement porté sur la seule apparence.
Comment, alors qu’on fronce le nez devant ce collègue qui n’a pas le bon goût de porter une cravate ou devant cette autre mal coiffée, mal parfumée et pour pas cher, apprendre aux enfants que l’habit ne fait pas le moine ? Comment leur apprendre qu’un pauvre vêtement n’excuse aucune brimade, aucune moquerie quand les adultes sont les premiers à accorder leur confiance aux mieux sapés, sur la base des signes extérieurs de richesse, pas toujours de bon goût d’ailleurs ? Quand la taille et le costume-cravate sont un passage obligé vers la considération ?