A 76 ans, le roi d’Espagne Juan Carlos vient d’annoncer son abdication au profit de son fils Felipe, au terme d’un règne indissociable de l’histoire de l’Espagne moderne, et de la fin du franquisme en particulier. Un acte rare dont les motivations diffèrent sans doute profondément d’une autre abdication célèbre : celle du roi d’Angleterre Edouard VIII, en 1936.
Le souverain malgré lui
20 janvier 1936 : le roi Georges V passe l’arme à gauche au terme d’un règne de 25 ans, non sans quelques derniers mots particulièrement édifiants (« God damn you ! », en gros « que le diable vous emporte ! », adressés à l’infirmière qui tentait de lui administrer une piqûre).
L’héritier du trône britannique ? Son fils Edouard, un bel homme âgé d’une quarantaine d’années, prince de Galles, ancien combattant de la Première guerre mondiale doté d’un caractère certain, marqué par une certaine tendance à envoyer paître tout ce qui pouvait ressembler à de l’autorité ou à une quelconque forme d’obligation. Compliqué pour un prince, problématique pour un souverain… S’il se fait un devoir de respecter ses obligations et don rôle de représentation, c’est avec une forme de distance ironique qui en agace plus d’un, à commencer par son père, père consterné de voir l’héritier du trône prendre si peu à cœur son futur rôle.
Ah oui : le prince Edouard est surtout célibataire. Une caractéristique à laquelle le cher homme tient comme à la prunelle de ses yeux, manifestement – et dont il profite largement, au point d’être compromis dans une série relativement impressionnante d’affaire des mœurs, multipliant des aventures dont il se cache fort peu, y compris avec des femmes mariées à une époque où ce genre de comportement est très mal accepté de manière générale et de la part d’un prince en particulier.
Le coureur de jupons amoureux
Et c’est tout le problème : au moment de la mort de son père, Edouard s’est lancé dans une histoire qui scandalise la bonne société anglaise et met la famille royale dans une situation compliquée.
Depuis un voyage aux Etats-Unis, en 1931, le coureur s’est rangé des bagnoles et fréquente enfin une seule femme à la fois, une femme dont tout montre qu’il est éperdument amoureux. Une bonne nouvelle ? Pas vraiment. Aux yeux de la société britannique, l’heureuse élue présente un sacré paquet de casseroles qui rendent sa présence parfaitement indésirable dans l’arbre généalogique des Windsor : la jeune femme – Wallis Simpson – est 1/ américaine 2/ Divorcée une première fois 3/ mariée une deuxième fois, union toujours en cours lorsqu’elle rencontre Edouard. Ce qui n’empêche pas ce dernier de s’afficher ouvertement avec elle. Un tel scandale que la famille royale fera… espionner Edouard pour savoir à quoi s’en tenir.
Bref : personne ne peut sentir Mme Simpson dans l’entourage familial d’Edouard. Alors que le père de ce dernier meurt désolé de la situation (« à ma mort, ce garçon se ruinera en un an »), tous les heureux sujets du Commonwealth placent cette gourgandine arriviste de Mme Simpson plus bas que terre lorsqu’Edouard monte sur le trône. Ce qui n’empêche pas le tout neuf Edouard VIII de se montrer bien décidé à se foutre de l’avis général comme de sa première cuillère en or. Que les choses soient claires : non seulement sa relation avec Wallis Simpson demeure, mais il laisse entendre que le mariage n’est plus qu’une question de temps – une fois son amante divorcée une seconde fois, s’entend.
10 mois, 21 jours de règne
Après quelques mois, pourtant, la situation devient proprement intenable, d’autant que le souverain multiplie les bourdes. Outre qu’il se mêle un peu trop de politique intérieure, lui et sa femme montrent un attachement quelque peu gênant pour l’Allemagne et l’Italie – dirigées l’une par Mussolini, l’autre par Adolf Hitler. Le genre de soutien tout à fait confortable pour un gouvernement britannique qui voit monter le risque de nouveau conflit mondial à partir de 1936.
C’est pourtant la question de son mariage, bien plus que ses positions politiques, qui emporteront la décision en novembre 36. Alors qu’il fait part au Premier ministre anglais de son souhait d’épouser Wallis Simpson –et donc d’en faire la reine d’Angleterre – Edouard VIII se fait férocement remonter les bretelles par ce dernier, Stanley Baldwin, qui lui rappelle que 1/ ses sujets jugeraient cette union moralement inacceptable 2/ l’Eglise d’Angleterre n’accepte pas le divorce. Un point d’autant plus problématique qu’elle est placée, anglicanisme oblige, sous l’autorité de … Edouard VIII.
Edouard VIII tente bien une entourloupe, en proposant un mariage morganatique : il épouse Mme Simpson mais celle-ci ne devient pas reine pour autant et les éventuels enfants du couple n’auraient aucun droit au trône. Réponse unanime du Commonwealth à cette proposition : « Fuck off ». Bon disons « Fuck off, your Majesty », histoire de rester protocolaire.
Têtu comme une mule ou amoureux éperdu, à chacun de se faire son idée : toujours est-il que le 10 décembre 1936, le roi abdique. Redevenu simple prince, il laisse son frère monter sur le trône : ce sera Georges VI, papa de l’actuelle reine Elisabeth dont l’histoire est en partie racontée dans le film Discours d’un Roi. Dans un dernier discours public, il déclare à la radio : « J'ai estimé impossible de porter le lourd fardeau de responsabilités et de remplir les devoirs qui m'incombent en tant que roi sans l'aide et le secours de la femme que j'aime ».
Son règne aura duré 10 mois et 21 jours. Devenu duc de Windsor, il meurt bien plus tard, en 1972. Wallis Simpson, devenue duchesse à défaut d'être reine, le suivit dans la tombe 14 ans plus tard. Le couple est enterré à Paris.