Ce 8 mai, les pays alliés au cours de la seconde guerre mondiale célébrent la fin des combats et la capitulation allemande du 8 mai 1945 – ou du 7, plus exactement. Ou du 9. En tout cas, c’est bien le 8 mai qui est un jour férié. Enfin depuis 1981 seulement. Bref : retour arrière sur un événement majeur dont on ne connaît pas toujours les détails.
Le 8 mai 1945 date de la veille…
C’est en réalité tôt le 7 mai 1945 que fut signée la fin des combats de la Seconde Guerre mondiale – en Europe, du moins – après 5 ans et demi de conflit. A 2 h 41 du matin très exactement, le général Jodl signa la capitulation sans conditions des forces nazies, dans une petite salle de classe du « collège technique et moderne » de Reims. Les représentants russe, anglais et américain lui succédèrent - à noter que le document comporte une quatrième signature : celle du représentant du Général de Gaulle, le général François Sevez – qui signa uniquement en tant que témoin.
L’atmosphère n’est comme on se l’imagine pas tout à fait à la franche rigolade mais grave, et tendue. Dix-sept correspondants de guerre sont présents pour immortaliser l'instant. Le photographe d'Eisenhower, présent, raconta qu’il n'avait jamais eu à travailler aussi vite que ce jour-là. Quant à dactylographe chargée de rédiger l'acte en anglais, elle finit en larmes : « On nous apportait au fur et à mesure le résultat des négociations. Il fallait à chaque fois repartir de zéro. Quand j'ai rendu mon papier, j'étais lessivée et en larmes. Un officier m'a apporté une flûte de champagne pour me consoler. »
Le document signé par Jodl et les représentants des forces américaines et russes annonce la cessation effective des combats pour le lendemain, 8 mai, à 23 heures mais date donc bien du 7 mai. Alors pourquoi a-t-on retenu la date du 8 mai ?
… Et du lendemain
Staline ayant râlé comme un putois en apprenant que la capitulation des nazis avait été signée en France par un malheureux général et pas par un membre éminent de son état-major dans Berlin occupé par ses troupes, il y eut une deuxième signature, cette fois dans la soirée du 8 mai. Le second document fut signé dans la banlieue d’un Berlin ravagé de fond en comble par les bombardements alliés et par les troupes russes qui y étaient entrées le 2 mai, 48 heures après le suicide d’Hitler.
Les représentants soviétiques, américain anglais et français arrivèrent avant les Allemands, représentés cette fois par Keitel. La signature d'un document sensiblement équivalent à celui de Reims est datée de 23 heures 01 – soit une heure du matin à Moscou, ce qui explique que la victoire n’y soit pas célébrée le 8, mais bien le 9 mai…
« Ach ! Il y a aussi des Français ! »
Côté français, c’est le général De Lattre de Tassigny qui signe à son tour comme témoin. Le symbole, pour De Gaulle, est essentiel : cette place soigneusement négociée valide définitivement la France aux côtés des Alliés victorieux – essentiel pour que l’opération de réconciliation nationale, au cours des années qui suivirent, puisse être lancée, essentiel aussi pour présenter l'Etat Français de Vichy comme un régime usurpateur. Pour la petite histoire, la présence des Français faillit bien rendre fou de rage Keitel, le Feldmarschall. En apercevant le drapeau tricolore, il fit remarquer, à haute et forte voix : « Ach ! Il y a aussi des Français ! Il ne manquait plus que cela ! ».
Absent, l’Amiral Dönitz, Président du Reich depuis le 1er mai, annonce la nouvelle aux troupes allemandes par la radio et conclut, amer : l’Allemagne, en étant occupée par les Russes, est « revenue mille ans en arrière », un jugement qui ne restera pas dans les annales des prophéties les plus pertinentes. De Lattre, lui, rédige l’ordre du jour n°9 en tant que commandant en chef de la 1ère armée française, celle qui s’illustra dans la campagne dite « Rhin et Danube ». Il est rédigé ainsi :
« Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats de la 1ère armée, le jour de la Victoire est arrivé. A Berlin, j’ai la fierté de signer au nom de la France, en votre nom, l'acte solennel de capitulation de l'Allemagne (…) Fraternellement unis aux soldats de la Résistance, côte á côte avec nos camarades alliés, vous avez taillé en pièces l’ennemi partout où vous l’avez rencontré. Vos drapeaux flottent au cœur de l’Allemagne. (…) De toute mon âme je vous dis ma gratitude. Vous avez droit à la fierté de vous-mêmes comme à celle de vos exploits. Gardons pieusement la mémoire de nos morts (…), ils ont rejoint, dans le sacrifice et la gloire pour la rédemption de la France, nos fusillés et nos martyrs (…) »
Le jour où la Russie manqua de vodka
C'est plus anecdotique, mais la victoire sur les troupes nazies fut aussi l’occasion de ce qui reste sans doute et sauf votre respect comme l'une des plus gigantesques bitures collectives de l'histoire de l'humanité.
Si la nouvelle fut accueillie partout en Europe et en Amérique du Nord par une explosion de joie, les Soviétiques y ajoutèrent une touche… russe. Vers une heure du matin le 9 mai, les Moscovites sont encore bien réveillés à l’annonce de la signature du conflit qui vient de leur coûter de 21 à 27 millions de morts, civils et militaires réunis. Le soulagement fut à la hauteur de l’événement. Dès l’annonce de la signature sur Radio Moscou, à 1h10, des dizaines de milliers de Moscovites se ruèrent dehors pour célébrer la victoire. Beaucoup d’entre eux sont toujours en pyjama ou vêtus de ce qui en tient lieu mais qu’importe : la fête commence et la vodka coule – littéralement – à flots. Les ambassades des pays alliés sont assiégées par des foules enthousiastes et leur personnel rejoint vite la beuverie qui commence. Tout le monde embrasse tout le monde, à commencer par des soldats qui passèrent probablement une des soirées les plus marquantes de leur vie – et toute la ville se prit une peinture colossale, à l’échelle d’un conflit qui venait de coûter la vie à près de 15 % de la population de l’URSS.
Un correspondant de guerre, Alexandre Rustinov, raconte :
« J’ai eu de la chance de pouvoir acheter un litre de vodka en arrivant à la gare, parce que ce fut impossible d’en acheter plus tard. Nous avons célébré la fin de la guerre avec nos amis, nos voisins, nos propriétaires. Nous avons bu à la fin de la guerre, nous avons bu en l’honneur des morts, nous avons bu en souhaitant ne plus jamais voir ça. Il n’y avait plus de vodka le 10 mai au matin. Nous avions tout bu. »
On ne saurait mieux dire.
Jour férié, jour férié... C’est vite dit.
On a tendance à le voir comme une évidence comme pour le 11 Novembre : le 8 mai, c’est entendu, est un jour férié. Ce ne fut pas toujours le cas, loin de là.
Pour commencer, il fallut 8 ans pour en faire un jour chômé, par décret de mars 1953. Et ça ne dura pas longtemps : dès 1959, un décret signé du… Général de Gaulle garda la commémoration mais pas le jour férié. Mieux encore : en 1975, Valéry Giscard d’Estaing supprima carrément les commémorations du 8 mai dans un contexte de réconciliation avec l’Allemagne ! Amusant quand on se souvient que quelques années plus tard, VGE se dirait heurté de voir défiler des troupes allemandes sur les Champs-Elysées en juillet 1994…C’est à François Mitterrand qu’on doit le retour du côté férié et mémoriel du 8-Mai : la décision fut prise dès son arrivée au pouvoir, en octobre 1981.
Vous savez tout. Ou presque.