Non mais allô, quoi ! Retour sur trois affaires d'écoutes téléphoniques ratées

Entre les dictaphones des uns et les enregistrements des autres, le moins qu’on puisse dire est que Nicolas Sarkozy reste un chef d’Etat très écouté. Et si l’affaire vire au scandale, le moins qu’on puisse dire, c’est que les écoutes téléphoniques n'ont en soi rien de bien original.  Retour sur quelques beaux ratages d’une pratique probablement apparue dans la nanoseconde qui suivit l’invention du téléphone.

1983-86 : les oreilles de l’Elysée

Vu de l’Hexagone, c’est forcément le premier cas auquel on pense : entre 1983 et 1986, la cellule anti-terroriste mettra plus de 1000 personnes sur écoute. Le procédé n’avait d’ailleurs rien de nouveau en soi : les écoutes étaient monnaie courante au cours de la guerre d’Algérie – on dit que c’est grâce à elles que Charles de Gaulle eut vent du putsch des généraux à Alger, en 1961.

Autant dire que le débat n’est pas nouveau : en témoigne ce très beau reportage de 1973 en forme de mode d’emploi, présenté par un Jean-Marie Cavada âgé d’environ 12 ans à vue de nez. La technique a certes un rien vieilli, mais à 40 ans d’écart, le débat n’a pas franchement changé de nature.

La différence tient au fait que les écoutes de 83-86 dépassent allègrement le cadre du seul renseignement classique. Parmi les personnes écoutées à leur insu, des personnes suspectées de préparer des attentats, donc, mais aussi des journalistes (Edwy Plenel), des écrivains (Jean-Edern Hallier) des personnalités ou des acteurs comme… Carole Bouquet. Le but de l’Elysée ? La sécurité bien sûr – et aussi la volonté de savoir qui savait quoi sur certains sujets délicats, à commencer par le cancer dont souffrait François Mitterrand dès le début de son premier mandat.

Juridiquement, l’affaire ne s’est terminée qu’en 2005, avec sept condamnations à la clef, d’ailleurs plutôt légères : quelques amendes et des peines de prison avec sursis.  Le tribunal a bien conclu à la responsabilité directe de l’ancien Président, désigné comme « l’inspirateur et le décideur » de ces enregistrements – mais bien trop tard pour que François Mitterrand, mort en 1996, puisse se défendre ou en répondre.

Gorge Profonde et arroseur arrosé

Si les écoutes de Mitterrand firent scandale, elles n’allèrent pas jusqu’à compromettre sa carrière, puisqu’il fut réélu en 1988. Nixon aussi, au demeurant, fut réélu alors que là encore, les écoutes illégales qui finirent par avoir sa peau avaient déjà commencé. Le fameux Watergate qui aboutira à la démission en août 1974, en direct à la télévision, d’un président contraint de partir pour éviter une procédure d’impeachment. Humiliant, non ? C’est la seule et unique fois qu’un président américain dut démissionner, même si Clinton ne passa pas franchement loin d’un destin identique pour l’histoire de cornecul que l’on connaît.

Le Watergate, c’est quoi ? Principalement une belle bourde et concrètement un immeuble qui accueillait en 1972 les locaux du parti démocrate. Dans la nuit du 17 juin 1972, cinq « cambrioleurs » se font choper comme des débutants par la police, leurs sacoches littéralement bourrées de matériel d’écoute clandestine. Mieux : l’un d’eux porte un joli carnet où figure entre autres un numéro de téléphone qui mène à ... la Maison-Blanche. Last but not least, l’un des cinq champions est un ancien du FBI et de la CIA. Oh, et un membre du Comité pour la réélection de Nixon.

L’enquête menée par deux journalistes du Washington Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, informés par un mystérieux indic baptisé « Gorge Profonde » est restée mythique. Elle finit par prouver que les conseillers de Nixon – et le Président lui-même – sont directement impliqués.

Comment ? C’est le gag de l’arroseur arrosé : sous Kennedy, des micros avaient été installés dans le bureau ovale, pour enregistrer les conversations du Président et de ses conseillers. Dans le cadre du Watergate, ces bandes sont écoutées par la commission d’enquête et le moins qu’on puisse dire, c’est que Nixon n’en sort pas grandi : quand il ne se sert pas whisky sur whisky (avec glace), le cher homme emploie un vocabulaire à faire rougir un carabin. Si elles ne prouvent pas l’implication de Nixon dans les écoutes, elles établissent en revanche qu’il tente par tous les moyens d’étouffer l’enquête, notamment en tentant d’acheter le silence des « cambrioleurs »…

Un Watergaffe à la française

Reste que le plus rigolo des scandales à base d’écoutes reste celui dont faillit être victime le Canard Enchaîné. Je ne peux que vous inviter à lire le paragraphe qui suivit en écoutant la musique de Benny Hill.

Un soir de décembre 1973, deux journalistes de l’hebdomadaire satirique passent en dessous des locaux du Canard quand ils aperçoivent de la lumière dans les bureaux. Surpris que quelqu’un travaille encore à cette heure tardive, ils montent dans l’immeuble et surprennent deux types habillés en ouvriers. Lesquels pieds nickelés tentent d’expliquer qu’ils sont… plombiers. En réalité, il s’agit de deux agents de la défunte DST, fusionné depuis avec les RG au sein de l’actuelle DCRI.  Le tout avec des murs troués alors qu’il n’y passait strictement aucune canalisation.

 Les journalistes du Canard ne sont pas réputés pour être des lapins de six semaines : bizarrement, l’explication passe mal. A la foi amusé et furieux, l’hebdomadaire va se faire une joie de démonter la DSTdans une série d’articles au vitriol. La DST niera en bloc et contre toute évidence, la justice finira par donner raison à l’administration. Reste que le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, se fera opportunément débarquer quelques semaines plus tard au profit du ministre de l'agriculture, un certain Jacques Chirac.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu